Chapitre 8. Visualisation

La méditation juive
mardi 30 septembre 2025
par  Paul Jeanzé

Plus tôt, j’ai parlé des images que l’on voit lorsque l’on ferme les yeux. Une discipline importante dans la méditation consiste à apprendre à contrôler ces images. Une fois que l’on a appris à les contrôler, on peut également apprendre à garder une image dans son esprit. Cette technique est connue sous le nom de visualisation.

Une manière simple d’appréhender cette discipline consiste à fermer les yeux et à essayer de visualiser une lettre de l’alphabet, par exemple la lettre A. Si vous connaissez l’alphabet hébreu, vous pouvez essayer de visualiser la lettre alef (א). Comme il existe des méditations juives qui utilisent cette lettre, je vais l’utiliser comme exemple, mais n’importe quelle autre lettre ou chiffre pourrait également convenir.

Pour commencer une méditation de visualisation, fermez simplement les yeux et détendez‑vous et laissez les images s’installer dans votre esprit. Si vous pratiquez déjà la méditation par mantra, vous pouvez l’utiliser comme mécanisme de relaxation. Dans tous les cas, après quelques minutes, les images dans votre champ visuel deviendront plus faciles à contrôler.

Lorsque votre champ visuel est relativement calme, vous pouvez commencer à essayer de visualiser le alef. Vous pouvez imprimer un alef sur une carte et en fixer l’image dans votre esprit. Fermez ensuite les yeux et essayez de vous représenter le alef. Essayez de le voir avec vos yeux fermés exactement comme vous l’avez vu avec vos yeux ouverts.

Au début, cela peut s’avérer extrêmement difficile. Les images que vous voyez dans votre esprit sont très difficiles à contrôler. Si vous n’avez jamais fait cela auparavant, cela sera presque impossible la première fois.

Le nom de l’objet à visualiser constitue une aide importante à la visualisation. Si vous essayez de visualiser le alef, vous pouvez répéter le mot « alef » régulièrement. Vous pouvez même répéter le mot plusieurs fois, comme s’il s’agissait d’un mantra. Cela permet non seulement de détendre le champ visuel, mais également de concentrer l’esprit sur le alef. Répéter le mot « alef » comme un mantra permettra à la lettre d’apparaître dans votre esprit.

Une autre aide utile consiste à commencer l’exercice de visualisation par une méditation contemplative. Si vous souhaitez visualiser le alef, passez d’abord plusieurs jours à contempler la lettre écrite sur une carte, environ vingt minutes par jour. Cela permettra de fixer l’image dans votre esprit. Il sera alors beaucoup plus facile de fixer le alef dans votre champ visuel, les yeux fermés.

Si vous rencontrez toujours des difficultés, la séance de méditation peut être divisée entre contemplation et visualisation. Consacrez les quinze premières minutes d’une séance d’une demi‑heure à contempler le alef en le regardant les yeux ouverts. Ensuite, pendant les quinze minutes suivantes, vous pouvez essayer de le visualiser les yeux fermés.

La capacité à réaliser cet exercice varie d’une personne à l’autre. Certains y parviennent dès la première fois, tandis que d’autres doivent s’entraîner pendant des semaines avant de pouvoir visualiser une lettre. Cependant, avec de la patience et de la persévérance, presque tout le monde peut y arriver.

Même après avoir représenté la lettre dans son esprit, la plupart des gens ne pourront conserver cette image que pendant quelques secondes. Ensuite, comme toutes les images de ce type, elle se fondra dans d’autres images. Avec le temps et la pratique, on finit par acquérir la capacité de conserver l’image clairement et fermement dans son esprit pendant de longues périodes. Lorsque cela est accompli, on a fait un grand pas en avant dans la maîtrise des processus mentaux.

La capacité à retenir une image dans son esprit est longuement abordée dans les textes de la Kabbale traitant de la méditation. Ainsi, le Sefer Yetzirah fait référence à deux processus pour représenter les lettres : « graver » (chakikah) et « tailler » (chatzivah). Ces deux processus sont considérés comme importants pour représenter les lettres. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, les lettres hébraïques sont considérées comme les canaux des forces de la création, et à ce titre, ils peuvent être utilisés comme un moyen puissant pour attirer l’énergie spirituelle. Cependant, la « gravure » et le « ciselage » sont également utiles pour des formes de méditation moins ésotériques.

Le terme « graver » signifie fixer une image dans l’esprit de manière à ce qu’elle ne vacille et ne bouge pas. Quelles que soient les autres images qui apparaissent dans le champ de vision, l’image gravée reste là, comme si elle était réellement gravée dans l’esprit. Une fois qu’une personne a accompli cela, elle peut généralement représenter l’image souhaitée dès qu’elle commence sa méditation, presque comme un réflexe.

Cependant, même lorsque l’image est claire et stable, « gravée » dans l’esprit, elle est généralement entourée d’autres images. L’étape suivante consiste à isoler l’image. Ainsi, si l’on visualise la lettre alef, on essaie de l’isoler et de débarrasser l’œil de l’esprit de toutes les autres images. C’est ce qu’on appelle « tailler », ou chatzivah. L’analogie est celle de l’extraction d’une pierre de la roche qui l’entoure. Le processus consiste à désigner la pierre souhaitée, puis à extraire la pierre superflue. On fait la même chose dans l’esprit, en extrayant toutes les images superflues qui entourent la forme souhaitée. Il ne reste alors que l’image souhaitée.

Il existe plusieurs façons de « tailler » les images environnantes. L’une d’entre elles consiste à remplacer toutes les images mentales autres que le alef par du blanc pur. Concentrez-vous d’abord sur le alef, en le laissant remplir votre esprit. Puis taillez progressivement les images autour du alef, en les remplaçant par du feu blanc. Imaginez que le feu blanc brûle les autres images. Commencez par un petit point de feu blanc au sommet du alef, et utilisez-le pour brûler une petite partie de l’image. Laissez le feu blanc s’étendre, brûlant des zones de plus en plus grandes. À mesure qu’il se déplace autour du alef, le feu blanc brûle les images de tous les côtés. Finalement, vous ne voyez plus que le alef, écrit en feu noir sur du feu blanc.

En général, une technique de visualisation telle que celle-ci est très utile et peut être utilisée dans d’autres formes de méditation juive. Ainsi, de nombreux textes classiques de la Kabbale parlent de yichudim ou « unification », que j’ai brièvement abordées dans le chapitre précédent. La plupart du temps, la méthode de méditation des yichudim consiste à mettre en image divers noms de Hachem, puis d’en manipuler les lettres. En général, la méthode des yichudim est très avancée et nécessite une certaine connaissance de la Kabbale [1].

Une bonne introduction à la méthode des yichudim consiste à visualiser le Tétragramme, Y H V H. Cela s’apparente à la technique de contemplation du Tétragramme décrite dans le chapitre précédent, mais ici, elle est pratiquée sans aide extérieure. Il est important de noter qu’un exercice consistant à visualiser le Tétragramme est mentionné dans le Shulchan Arukh, le code standard de la loi juive. Il s’agit également d’une introduction à un certain nombre d’autres techniques plus avancées abordées dans la Kabbale.

En visualisant le nom de Hachem, on peut atteindre un sentiment extraordinaire de proximité avec Lui. On ressent réellement la présence de Hachem et on éprouve un profond sentiment de crainte révérencielle en sa présence. Plusieurs sources juives classiques trouvent une allusion à cette visualisation dans le verset « Je me suis mis Y H V H devant moi en tout temps » (Ps. XVI, 8). Ce type de visualisation est également utile pendant le culte et la prière.

Ici aussi, vous pouvez utiliser la contemplation comme introduction à la visualisation. Si vous avez des difficultés à visualiser le Tétragramme, passez plusieurs jours à contempler le nom écrit sur une feuille ou une carte. Vous pouvez consacrer la première moitié d’une séance à contempler le nom écrit et l’autre moitié à le visualiser les yeux fermés. Au final, vous serez capable de le visualiser sans utiliser la carte.

Une fois que vous maîtrisez la visualisation du nom, vous pouvez l’utiliser pour le yichud simple évoqué dans le chapitre précédent. Comme nous l’avons vu là-bas, le vav et le heh final du nom représentent les forces masculines et féminines de la providence. Lorsque le vav et le heh sont séparés, il n’y a aucun lien entre Hachem et le monde inférieur, à l’exception de Son énergie créatrice. Par conséquent, comme un homme et une femme qui seraient amoureux, le vav et le heh aspirent et désirent ardemment être unis, afin d’apporter la puissance de Hachem au monde inférieur. Lorsque le vav et le heh sont unis, la présence de Hachem devient palpable et l’on peut vivre une expérience très forte du Divin.

On accomplit ce yichud en visualisant le nom divin, YHVH. On se concentre sur le vav et le heh, en prenant conscience du désir et de l’aspiration de ces deux lettres à s’unir. Lorsque le désir entre les deux lettres atteint son paroxysme, elles finissent par s’unir et un flot spirituel se libère. On ressent cela comme un torrent d’énergie divine qui circule à travers le corps et l’esprit. On est baigné dans cette expérience spirituelle et submergé par elle, totalement ouvert, comme un réceptacle pour le divin.

Une fois que l’on maîtrise la visualisation, il existe des méthodes plus avancées que l’on peut apprendre. Une de ces méthodes, mentionnée dans les sources kabbalistiques, consiste à imaginer le ciel s’ouvrant et à se représenter soi-même montant vers le royaume spirituel. On s’élève à travers les sept firmaments, un par un, jusqu’à atteindre le ciel le plus élevé. À ce niveau, on représente dans son esprit un immense rideau blanc, de taille infinie, qui remplit tout l’esprit. Sur ce rideau blanc, on visualise le Tétragramme.

Le noir des lettres et le blanc du rideau s’intensifient jusqu’à ce que les lettres apparaissent comme du feu noir sur du feu blanc. Peu à peu, les lettres du Tétragramme s’agrandissent jusqu’à former d’immenses montagnes de feu noir. Lorsque les quatre lettres remplissent complètement l’esprit, on est pour ainsi dire englouti dans le nom de Hachem.

À un niveau encore plus avancé, les lettres semblent ne pas être simplement écrites sur le rideau, mais être des objets solides, avec une dimension et une texture. On peut se voir entrer dans les lettres, entouré de leur essence de tous côtés.

Enfin, on peut atteindre un niveau où l’on perçoit les lettres comme des entités vivantes, comme si chaque lettre était un être angélique. On prend alors conscience de la force vitale et de l’énergie spirituelle contenues dans chaque lettre, de la signification des lettres et du flux d’énergie entre une lettre et la suivante. On prend conscience de l’unification du Donateur et du récepteur, ainsi que des éléments masculins et féminins ultimes de la création.

Ces dernières méthodes peuvent amener une personne à des niveaux spirituels très élevés et ne doivent pas être prises à la légère. Les sources originales indiquent qu’avant de tenter l’une de ces méthodes plus avancées, il est recommandé de consacrer toute la journée à la préparation, en récitant les psaumes et en étudiant la Torah. Avant de commencer la méditation, il est conseillé de se plonger dans un mikvé (bain rituel) ou dans toute autre eau naturelle afin de se purifier physiquement et spirituellement. Certaines sources indiquent également qu’il est préférable de s’habiller entièrement en blanc pour ces méditations avancées.

Ce type de visualisation peut être dangereux et ne doit pas être pratiqué sans l’aide d’un maître spirituel expérimenté ou d’un partenaire de méditation. Le Baal Shem Tov recommande d’avoir un partenaire pour tout type de méditation avancée. Ainsi, si nécessaire, un partenaire peut ramener l’autre dans le monde réel.

La visualisation est également utile pour une autre raison. Dans les formes plus profondes de méditation, il arrive souvent d’avoir des visions. Comme je l’ai mentionné précédemment, ces visions ne doivent pas être prises trop au sérieux. À moins d’être très avancé et de travailler sous la tutelle d’un maître expérimenté, ces visions sont certainement fausses. Il est donc recommandé, lorsque des visions apparaissent, de les chasser de l’esprit. Si l’on apprend à contrôler sa visualisation, cela est assez facile. Certaines sources recommandent que les visions, lorsqu’elles apparaissent, soient chassées de l’esprit et remplacées par le Tétragramme.

Lorsque l’on apprend à contrôler les images dans son esprit, il y a beaucoup moins de risques que des visions erronées apparaissent. La méditation est alors pure et n’est pas perturbée par des effets secondaires de faible intensité.


[1Dans mon ouvrage Méditation et Kabbale, plusieurs yichudim importants sont présentés dans leur intégralité.


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Pas grand-chose (mais quand même)

Je profite du mois d’août, souvent calme de mon côté, pour procéder à quelques petites évolutions. Ainsi, je vais maintenant mettre mes poézies en ligne au fur et à mesure de leur rédaction... à condition que je sois satisfait du résultat. De plus, je vais certainement abandonner le format "un recueil tous les trois ans". Je verrai bien, avec le temps, où me mènera ce petit quelque chose.

Bien à vous,
Paul Jeanzé, le 12 août 2025


Brèves

30 septembre - La méditation juive

Mise en ligne d’une version en français de La méditation juive (1982), livre de Aryeh Kaplan.