Introduction

La méditation juive
mardi 30 septembre 2025
par  Paul Jeanzé

L’homme de la rue est souvent surpris d’entendre parler de « méditation juive ». Même les Juifs les plus cultivés, y compris de nombreux rabbins et érudits, ignorent l’existence d’une telle pratique. Lorsqu’on leur montre des textes qui décrivent la méditation juive, ils répondent qu’elle appartient à une branche ésotérique ou occulte du judaïsme et qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec le judaïsme traditionnel.

Il n’est donc pas surprenant que de nombreux ouvrages actuels sur la méditation accordent peu d’attention au judaïsme. Bien que la plupart des auteurs semblent conscients de l’existence d’éléments mystiques dans le judaïsme, leur discussion se limite généralement à la Kabbale ou aux maîtres hassidiques. La plupart des livres sur la méditation mettent l’accent sur les pratiques orientales, et dans certains cas sur la méditation chrétienne, mais la méditation juive est systématiquement ignorée.

Pour les étudiants en méditation, cet oubli est préjudiciable. Le judaïsme a produit l’un des systèmes de méditation les plus importants, et l’ignorer rend toute étude incomplète. De plus, le judaïsme étant une religion orientale qui a migré vers l’Occident, ses pratiques méditatives pourraient bien être celles qui conviennent le mieux à l’homme occidental. Sans une connaissance des pratiques méditatives juives, un lien important entre l’Orient et l’Occident est ainsi perdu. Cette omission est d’autant plus dommageable qu’il existe de nombreuses preuves que les anciens maîtres Juifs mystiques dialoguaient avec les maîtres soufis [1] et qu’ils connaissaient également les écoles indiennes.

Pour les Juifs, cette lacune est plus grave encore. Les Juifs sont par nature un peuple spirituel, et beaucoup d’entre eux recherchent activement un sens spirituel à leur vie, souvent à un niveau mystique. Il y a plusieurs générations, un grand nombre de Juifs ont été attirés par les traditions mystiques de groupes tels que la franc-maçonnerie. Aujourd’hui, de nombreux Juifs américains se sont tournés vers les religions orientales. On estime que jusqu’à 75 % des adeptes de certains ashrams [2] sont juifs, et que la plupart d’entre eux s’adonnent à des disciplines telles que la méditation transcendantale.

Lorsque je m’adresse à ces personnes et leur demande pourquoi elles explorent d’autres religions plutôt que la leur, elles me répondent qu’elles ne trouvent rien de profond ou de spirituellement satisfaisant dans le judaïsme. Lorsque je leur explique qu’il existe une forte tradition de méditation et de mysticisme, non seulement dans le judaïsme, mais également dans le judaïsme traditionnel, elles me regardent avec scepticisme. Tant que les Juifs eux-mêmes ne prendront pas conscience de la richesse spirituelle de leur propre tradition, il est compréhensible qu’ils cherchent ailleurs.

Il y a quelques années, j’ai été invité à prendre la parole dans une petite synagogue du nord de l’État de New York. Le temps était mauvais ce soir-là et seules vingt personnes avaient fait le déplacement. Au lieu de donner la conférence que j’avais prévue, j’ai rassemblé tout le monde en cercle et j’ai entamé la discussion. La plupart des personnes présentes dans l’assistance avaient relativement peu de connaissances sur le judaïsme. Au cours de notre conversation, j’ai commencé à parler du Chema et de la manière dont il peut être utilisé comme méditation (voir chapitre 3). Une des femmes présentes m’a demandé si je pouvais faire une démonstration, ce que j’ai accepté.

La méditation n’a pas duré plus de dix à quinze minutes. Habituellement, cette méditation est plus longue, mais eu égard aux circonstances, je me sentis pressé par le temps. Pourtant, à la fin, toutes les personnes présentes, y compris moi-même, étions littéralement essoufflés. Collectivement, nous avions vécu une expérience spirituelle intense.

« Pourquoi ne pouvons-nous jamais faire quelque chose de similaire lors des offices ? » a demandé l’un des hommes. C’était une question à laquelle je ne pouvais répondre. La discussion a ensuite porté sur le caractère froid et spirituellement stérile des offices à la synagogue, et sur la manière dont une technique comme celle-ci, qui fonctionne si bien en groupe, pourrait rendre l’office infiniment plus profond. Nous nous sommes d’ailleurs demandés si l’office à la synagogue n’était pas initialement destiné à être une expérience méditative.

Si trouver un sens spirituel est difficile pour les Juifs non pratiquants, le même problème peut parfois se poser pour les juifs orthodoxes. J’ai été approché par des étudiants de yeshiva, qui pourtant s’engagent à respecter les rituels du judaïsme, mais qui ne voient pas en quoi ces pratiques peuvent les élever spirituellement. Plus troublant encore est le nombre de Juifs orthodoxes qui pratiquent des disciplines telles que la méditation transcendantale. Certes, la plupart d’entre eux expriment un certain malaise à l’égard de ces pratiques, mais ils estiment néanmoins que les avantages l’emportent sur les inconvénients. Lorsqu’on leur demande pourquoi ils ne recherchent pas ce type d’expérience dans le judaïsme, ils donnent la même réponse que les Juifs non pratiquants : ils ne savent pas qu’une telle expérience peut être vécue au sein même du judaïsme.

Lorsque mon premier ouvrage sur le sujet, La méditation et la Torah, a été publié en 1978, ce dernier a suscité un regain d’intérêt pour la méditation juive. Pour la plupart des gens, c’était la première fois qu’ils entendaient parler de la méditation juive. Bien que cet ouvrage s’appuie sur un nombre considérable de publications, la plupart des textes n’avaient jamais été traduites de l’hébreu et n’étaient accessibles qu’aux spécialistes expérimentés de cette langue. Même à l’époque, une grande partie du matériau était difficile à comprendre pour quelqu’un qui n’avait jamais pratiqué la méditation. Pour rendre ce matériel accessible, il fallait en trouver les clés, et beaucoup de ces clés n’existaient que dans d’anciens manuscrits non publiés.

Il est effectivement important de noter que la plupart des textes fondateurs de la méditation juive n’ont jamais été publiés, même dans leur version originale en hébreu. Les œuvres les plus importantes n’existent que sous forme de manuscrits, conservés dans des bibliothèques et des musées. Pour mener à bien la recherche nécessaire à la rédaction de cet ouvrage, ainsi que d’un ouvrage ultérieur intitulé Méditation et Kabbale, il aura d’abord été nécessaire de localiser les manuscrits, ce qui a nécessité des recherches dans des revues savantes et des catalogues de bibliothèques. Une fois les manuscrits trouvés, il a fallu en obtenir des copies, ce qui n’a pas été une tâche facile lorsqu’ils se trouvaient dans des endroits comme la bibliothèque Lénine à Moscou. Beaucoup de ces manuscrits étaient vieux de plusieurs siècles, écrits dans des scripts obsolètes qui ne pouvaient être déchiffrés qu’au prix d’efforts considérables. Mais ces efforts en valaient la peine, car ils ont permis de découvrir de nombreuses clés importantes de la méditation juive.

Étant donné que peu d’ouvrages sur la méditation juive ont été publiées, nombreux furent ceux qui soutinrent que la méditation ne se trouvait que dans les recoins obscurs de la littérature juive, dans des ouvrages qui ne méritaient même pas d’être publiés. En réalité, de nombreux ouvrages traitant des méthodes de méditation kabbalistiques n’ont pas été publiés parce que ces pratiques étaient dangereuses et n’étaient absolument pas destinées au grand public. Pourtant, même ces ouvrages apportent un éclairage considérable sur des passages obscurs trouvés dans des ouvrages grand public ayant pignon sur rue ; ils font partie intégrante du puzzle, sans lequel il est difficile, voire impossible, de comprendre certains aspects majeurs du judaïsme. Une fois que le puzzle a commencé à se former, il m’est apparu clairement que certains des plus importants leaders Juifs traditionnels du passé s’appuyaient sur diverses techniques de méditation.

Avec la publication de La méditation et la Torah, l’intérêt pour la méditation juive fut de nouveau d’actualité. Même le rabbi de Loubavitch a publié une directive recommandant d’explorer les formes juives de méditation. Des groupes enseignant et pratiquant la méditation juive se sont formés aux États-Unis et en Israël. Je me suis senti privilégié lorsque mes livres servirent de base à bon nombre de ces communautés.

Malheureusement, un certain nombre de groupes impliqués dans la « méditation juive » pratiquaient quelque chose qui était très éloigné du judaïsme. Certains d’entre eux ont tenté d’adapter les pratiques orientales à un public juif ou de judaïser les enseignements orientaux. Bien que ces rassemblements aient attiré un certain nombre d’adeptes, ils n’enseignaient pas la méditation juive.

Parallèlement, avec un groupe de psychiatres et de psychologues juifs engagés, j’ai commencé à expérimenter les techniques découvertes dans la littérature. Ensemble, nous avons exploré l’espace intérieur de l’état méditatif. Parmi les participants figuraient David Sheinkin (de mémoire bénie), Seymour Applebaum et Paul (Pinchas) Bindler. D’autres membres ont également apporté une contribution importante à l’ensemble, notamment Arnie et Roz Gellman, Miriam Benhaim Circlin, Sylvia Katz, Jeff Goldberg, Gerald Epstein, Perle Epstein et bien d’autres encore.

Nous avons fait une découverte importante : la plupart des textes traitant de la méditation juive partent du principe que le lecteur connaît les techniques générales et se contentent seulement d’apporter des détails supplémentaires. Ces détails étaient fascinants, mais lorsque nous avons essayé de transposer ces techniques dans notre propre pratique, nous avons rencontré de nombreuses difficultés.

En les mettant en pratique, nous avons constaté qu’il manquait beaucoup d’informations. C’était comme essayer d’utiliser un livre de cuisine française avancée sans avoir les connaissances de base en cuisine. Les recettes étaient là, mais un novice ne pouvait pas les utiliser. Dans le cas de la méditation juive, les ingrédients étaient présents, mais la manière de les mélanger était omise ou simplifiée.

Dans une certaine mesure, le puzzle a été reconstitué dans mes deux précédents ouvrages sur la méditation. Cependant, aucun de ces livres n’était destiné à servir de guide pratique. De nombreuses personnes ont exprimé le besoin d’un guide sur la méditation juive rédigé en termes non techniques et accessible au grand public. C’est à partir de ces demandes que l’idée de ce livre a vu le jour.

Cet ouvrage présente les formes les plus élémentaires de la méditation juive, telles qu’elles sont notamment décrites dans les sources traditionnelles. Il ne nécessite aucune connaissance préalable du judaïsme ou de la méditation. J’espère qu’il permettra au moins à ses lecteurs de découvrir les dimensions spirituelles de l’héritage juif.

Aryeh Kaplan, 17 décembre 1982


[1Mystiques musulmans

[2Dans l’hindouisme, lieu où des disciples se groupent autour d’un maître pour recevoir son enseignement.


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Pas grand-chose (mais quand même)

Je profite du mois d’août, souvent calme de mon côté, pour procéder à quelques petites évolutions. Ainsi, je vais maintenant mettre mes poézies en ligne au fur et à mesure de leur rédaction... à condition que je sois satisfait du résultat. De plus, je vais certainement abandonner le format "un recueil tous les trois ans". Je verrai bien, avec le temps, où me mènera ce petit quelque chose.

Bien à vous,
Paul Jeanzé, le 12 août 2025


Brèves

30 septembre - La méditation juive

Mise en ligne d’une version en français de La méditation juive (1982), livre de Aryeh Kaplan.