III – Dans la vallée du Tarn
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Une route neuve conduit de Pont-de-Montvert à Florac, par la vallée du Tarn. Son assise de sable doux se développe environ à mi-chemin entre le faîte des monts et la rivière au fond de la vallée. Et j’entrais pour en sortir, alternativement, sous des golfes d’ombres et des promontoires ensoleillés par l’après-midi. C’était une passe analogue à celle de Killiecrankie, un ravin profond en entonnoir dans les montagnes, avec le Tarn menant un grondement merveilleusement sauvage, là-bas, en dessous, et des hauteurs escarpées dans la lumière du soleil, là-haut, au-dessus. Une étroite bordure de frênes cerclait la cime des monts comme du lierre sur des ruines. Sur les versants inférieurs et au-delà de chaque gorge, des châtaigniers, par groupes de quatre, montaient jusqu’au ciel sous leur feuillage épandu. Certains étaient implantés chacun sur une terrasse individuelle pas plus large qu’un lit ; d’autres, confiants en leurs racines, trouvaient moyen de croître, de se développer, de rester debout et touffus sur les pentes ardues de la vallée. D’autres, sur les bords de la rivière, restaient rangés en bataille et puissants comme les cèdres du Liban. Pourtant là même où ils croissaient en masse serrée, ils ne faisaient point penser à un bois, mais à une troupe d’athlètes. Et le dôme de chacun de ces arbres s’étalait, isolé et vaste d’entre les dômes de ses compagnons, comme s’il avait été lui-même une petite éminence. Ils dégageaient un parfum d’une douceur légère qui errait dans l’air de l’après-midi. L’automne avait posé ses teintes d’or et de flétrissure sur leur verdure et le soleil, brillant au travers, atténuait leur rude feuillage, en sorte que chaque épaisseur prenait du relief contre son voisin, non dans l’ombre, mais dans la lumière. Un humble dessinateur d’esquisses lâchait, ici, désespéré, son crayon.
Je voudrais pouvoir donner une idée du développement de ces arbres majestueux, comme ils étalaient leur ramure ainsi que le chêne, traînaient leurs branchages jusqu’au sol ainsi que le saule ; comment ils dressaient des fûts de colonnes, pareils aux piliers d’une église ou comment, ainsi que de l’olivier, du tronc le plus délabré, sortaient de jeunes et tendres pousses qui infusaient une vie nouvelle aux débris de la vie ancienne. Ainsi participaient-ils de la nature de plusieurs essences différentes. Et il n’était pas jusqu’à leur bouquet épineux du faîte dessiné de plus près sur le ciel qui ne leur conférât une certaine ressemblance avec le palmier, impressionnante pour l’imagination. Mais leur individualité, quoique formée d’éléments si divers, n’en était que plus riche et plus originale. Et baisser les yeux au niveau de ces masses abondantes de feuillages ou voir un clan de ces bouquets d’antiques châtaigniers indomptables, « pareils à des éléphants attroupés » sur l’éperon d’une montagne, c’est s’élever aux plus sublimes méditations sur les puissances cachées de la nature.
Entre la musarde humeur de Modestine et la beauté de ce spectacle notre progression fut lente, tout cet après-midi. Enfin, observant que le soleil, bien qu’encore loin de son coucher, commençait déjà d’abandonner l’étroite vallée du Tarn, je me mis à songer à un endroit où camper. Ce n’était point chose aisée à trouver. Les terrasses étaient trop étriquées et le sol, là où il n’y avait point de plates-formes, était trop déclive pour s’y pouvoir étendre. J’aurais pu glisser pendant la nuit et m’éveiller, vers le matin, les pieds ou la tête dans la rivière.
Après peut-être un mille, j’aperçus à environ soixante pieds au-dessus de la route, un petit plateau assez large pour contenir mon sac et protégé, comme par un sûr parapet, par le vieux tronc d’un énorme châtaignier. Là, avec des peines infinies, à coups de pied et d’aiguillon, je hissai la reluctante Modestine et me hâtai de la débarrasser de son fardeau. Il n’y avait place que pour moi sur ce plateau et il me fallut remonter presque aussi haut encore, avant de trouver un endroit propice pour ma bourrique. C’était un amas de pierres croulantes, sur un gradin artificiel, qui n’avait certes pas cinq pieds carrés en tout. J’attachai là Modestine et lui ayant donné avoine et pain et empilé un tas de feuilles de châtaigniers dont elle était gourmande, je descendis une fois de plus à mon propre campement.
La position était désagréablement exposée à la vue. Quelques chariots passèrent sur la route voisine et aussi longtemps qu’il fit clair, je me dérobai pour tout le monde, ainsi qu’un Camisard traqué, derrière la forteresse qu’était pour moi le tronc du vieux châtaignier. Car j’avais une véritable peur d’être découvert et visité par des gais lurons pendant la nuit. Je vis pourtant qu’il me faudrait m’éveiller de bonne heure. Ces plantations de châtaigniers en effet, avaient été le théâtre de l’activité locale pas plus tard que la veille. La pente était jonchée de branchages élagués et, çà et là, un gros tas de feuilles était ramassé contre un tronc, car même les feuilles sont avantageuses. Les paysans les utilisent, l’hiver, en manière de fourrage pour leurs bêtes. Je pris mon repas tout craintif et tremblant, à demi replié sur moi-même, afin de n’être point aperçu de la route. Et j’irai jusqu’à dire que j’y étais aussi inquiet que si j’avais été un éclaireur de la clique de Josué sur les hauteurs de la Lozère ou de celle de Salomon dans le Tarn, aux intervalles des chœurs psalmodiés et du sang répandu. Voire, au vrai, peut-être plus encore, car les Camisards témoignaient d’une inébranlable confiance en Dieu. Et ce récit me revenait en mémoire : le comte du Gévaudan chevauchant avec une troupe de dragons et un notaire à l’arçon de sa selle, pour renforcer le serment de fidélité dans tous les hameaux de la région, pénétra dans un vallon des bois. Et il trouva Cavalier et ses partisans en joyeuse frairie assis sur l’herbette, leurs chapeaux enguirlandés de couronnes de buis, tandis qu’une quinzaine de femmes lavaient leur linge à la rivière. Telle était une fête rustique en 1703. À cette date, Antoine Watteau aurait pu peindre des scènes de ce genre.
Ce fut un campement bien différent de celui de la nuit précédente dans la pineraie froide et silencieuse. Il faisait chaud, même étouffant dans la vallée. Le coassement clair des grenouilles, comme la musique et le trémolo d’un sifflet à roulette, s’éleva des bords de la rivière dès avant le soleil couché. Dans l’obscurité croissante de légers froissements commencèrent d’agiter les feuilles tombées. De temps à autre des bruits menus de crissements ou de forage m’arrivaient aux oreilles. Et, de temps à autre, il me semblait apercevoir le passage rapide d’une forme indistincte entre les châtaigniers. Une multitude de grandes fourmis s’attroupaient sur le sol ; des chauves-souris me frôlaient et des moustiques faisaient leur musique au-dessus de ma tête. Les longs rameaux aux bouquets de feuillage se suspendaient contre le ciel ainsi que des guirlandes et ceux qui se trouvaient immédiatement au-dessus ou autour de moi ressemblaient à un treillis qui aurait été détérioré et à demi renversé par un ouragan.
Le sommeil pendant un long temps déserta mes paupières et, au moment précis où je commençais à le sentir voleter paisiblement au-dessus de mes membres et s’installer pesamment dans mon cerveau, un bruit à mon chevet me retint soudain bien éveillé de nouveau et, je l’avoue sans feintes, me fit battre le cœur. Ce bruit, on eût dit de quelqu’un qui grattait avec l’ongle d’un doigt. Il partait d’en dessous de mon havresac qui me servait d’oreiller ; il se reproduisit trois fois avant que j’eusse eu le temps de me lever et de le retourner. Impossible d’y rien voir, impossible de rien entendre de plus que certains de ces mystérieux frôlements proches ou lointains avec l’accompagnement sempiternel du ruisselet et des grenouilles. J’appris le lendemain que les châtaigneraies sont infestées de rats ; froufroutage, grignotements et grattage, tout cela était probablement leur fait. Mais pour le moment l’énigme demeurait insoluble et il me fallut m’accommoder pour dormir, du mieux possible, d’une étonnante perplexité quant à mon voisinage.
Je fus éveillé dans la grisaille du matin (lundi 30 septembre) par un bruit de pas peu distant sur les pierres. Ouvrant les yeux, j’aperçus un paysan qui cheminait à proximité sous les châtaigniers dans une sente que je n’avais pas remarquée jusqu’alors. Il ne tourna la tête ni à gauche, ni à droite et disparut, en quelques enjambées, dans le feuillage. C’en était une chance ! Mais de toute évidence, il était plus que temps de déguerpir. Les ruraux étaient dehors, à peine moins redoutables pour moi dans ma situation indéfinissable, que les soldats du capitaine Poul pour un Camisard intrépide. Je fis manger Modestine avec toute la diligence dont je fus capable. Mais tandis que je retournais à mon sac, je vis un homme et un gamin dévaler le versant de la montagne dans une direction qui croisait la mienne. Ils me saluèrent de paroles inintelligibles et je leur répondis par des mots inarticulés mais cordiaux et m’empressai de mettre mes guêtres.
Le couple, qui semblait être père et fils, remonta jusqu’à la plate-forme et se tint à mon côté, sans souffler mot pendant quelque temps. Le lit était ouvert et je vis, non sans regret, mon revolver gisant bien en vue sur la laine bleue. À la fin, après m’avoir examiné des pieds à la tête, comme le silence était devenu comiquement embarrassant, l’homme, d’une voix qui me parut plutôt revêche, demanda :
– Vous avez dormi ici ?
– Oui, dis-je, comme vous voyez !
– Pourquoi ? interrogea-t-il.
– Ma foi, répondis-je, sans gêne, j’étais fatigué.
Il s’enquit ensuite de l’endroit où j’allais et de ce que j’avais eu pour dîner. Puis, sans la moindre transition : C’est bien ! ajouta-t-il, allons nous-en ! Et son fils et lui, sans un mot de plus, s’en retournèrent jusqu’au prochain et unique châtaignier qu’ils se mirent à émonder. L’affaire s’était passée plus simplement que je ne l’avais espéré. C’était un homme grave, respectable et sa voix inamicale n’impliquait point qu’il crût parler à un coupable, mais certainement à un inférieur.
Je fus bientôt en route, grignotant une barre de chocolat et sérieusement occupé d’un cas de conscience. Devais-je payer mon logement de cette nuit-ci ? J’avais mal dormi. Le lit était plein de puces sous les espèces de fourmis. Il n’y avait point d’eau dans la chambre. L’aurore elle-même avait négligé de m’appeler au matin. J’aurai pu avoir manqué un train, s’il y en avait eu un à prendre dans le voisinage. Bref, j’étais peu satisfait de l’hospitalité et j’avais résolu de ne point payer, sauf si je faisais rencontre d’un mendiant.
La vallée même semblait plus agréable au matin et bientôt la route descendit au niveau de la rivière. Alors, en un endroit où se groupaient plusieurs châtaigniers droits et florissants qui formaient îlot sur une terrasse, je fis ma toilette dans l’eau du Tarn. Elle était merveilleusement pure, froide à donner le frisson. Les bulles de savon s’évanouissaient comme par enchantement, dans le courant rapide et les roches rondes toutes blanches y offraient un modèle de propreté. Me baigner dans une des rivières de Dieu en plein air, me paraît une sorte de cérémonie intime ou l’acte d’un culte demi païen. Barboter parmi les cuvettes dans une chambre peut sans doute nettoyer le corps, mais l’imagination n’a point de part à pareil lessivage. Je poursuivis mon chemin d’un cœur allègre et pacifié et chantonnant en moi-même des psaumes rythmant ma marche.
Soudain surgit une vieille femme qui, à brûle-pourpoint, sollicita l’aumône.
– Bon, pensai-je, voici venir le garçon et l’addition !
Et je réglai sur-le-champ mon logement de la nuit. Prenez ça comme il vous plaira, mais ce fut là le premier et le dernier mendiant rencontré de toute mon excursion.
Quelques pas plus loin, je fus rejoint par un vieillard en bonnet de coton sombre, aux yeux clairs, au teint halé, au léger sourire émouvant. Une petite fille le suivait, conduisant deux brebis et un bouc, mais qui resta dans notre sillage, tandis que le bonhomme marchait à mon côté, et parlait de la matinée et de la vallée. Il n’était pas beaucoup plus de six heures et, pour des gens en bonne santé qui ont dormi leur content, c’est là une heure d’expansion et de franc et confiant bavardage.
– Connaissez-vous le Seigneur ? me dit enfin le brave homme.
Je lui demandai de quel seigneur il voulait parler. Mais il répéta seulement sa question avec plus d’emphase et, dans les yeux, un regard significatif d’espoir et d’intérêt.
– Ah ! fis-je, pointant un doigt vers le ciel, je vous comprends maintenant. Oui, oui, je le connais. C’est la meilleure de mes connaissances.
Le vieillard m’assura qu’il en était heureux. « Tenez, ajouta-t-il, frappant sa poitrine, cela me fait du bien là. Il y en a peu qui connaissent le Seigneur dans ces vallées, continua-t-il, pas beaucoup, un peu tout de même. Beaucoup d’appelés, cria-t-il, peu d’élus.
– Mon père, dis-je, il n’est point facile de préciser qui connaît le Seigneur et ce n’est point en tout cas notre affaire. Protestants et Catholiques, voire ceux qui idolâtrent des pierres, peuvent le connaître et être connus de lui, car il est le créateur de toutes choses. »
Je ne me savais pas si bon prédicateur.
Le vieillard m’affirma qu’il pensait comme moi et renouvela l’assurance du plaisir qu’il éprouvait de ma rencontre. « Nous sommes si peu, dit-il. On nous appelle des Moraves ici ; mais, plus bas, dans le département du Gard, où il y a également bon nombre de croyants on les appelle des Derbistes, du nom d’un pasteur anglais. »
Je commençai à comprendre que je faisais figure, dans une réalité suspecte, de membre de quelque secte de moi inconnue. Mais j’étais plus heureux du plaisir éprouvé par mon compagnon qu’embarrassé par ma situation équivoque. Je ne saurais trouver déloyal, en effet, d’avouer ne saisir aucune différence particulièrement dans ces matières transcendantes en qui nous avons tous la certitude que si d’aucuns peuvent se tromper, nous ne sommes nous-mêmes pas assurés d’avoir raison. On parle beaucoup de vérité, mais ce vieillard en bonnet de coton brun se montrait si ingénu, doux et fraternel que je me sentais presque disposé moi-même à professer son prosélytisme. C’était, comme par hasard, un frère de Plymouth. Ce que le terme peut signifier au point de vue dogmatique, je n’en avais pas la moindre idée, – ni le temps de m’en informer. Toutefois, je sais bien que nous sommes tous embarqués sur la mer démontée du monde, tous enfants d’un même père et qui s’efforcent sur beaucoup de points essentiels, d’agir de même et de se ressembler. Et quoique ce fut, en un sens, par une sorte de malentendu qu’il me serrât si souvent les mains et se montrât si enclin à entendre mes propos, c’était là l’erreur d’une sorte de quêteur de vérité. Car la charité débute les yeux bandés ; ce n’est qu’à la suite d’une série de méprises de ce genre, qu’elle s’établit enfin sur un principe raisonnablement fondé d’amour et de patience et une confiance absolue en notre prochain tout entier. Si j’avais trompé ce brave homme, j’eusse volontiers continué à en tromper d’autres de la même manière. Et si jamais, en fin de compte, hors de nos voies individuelles et désolées, nous devons nous rassembler tous dans une demeure commune, j’ai l’espoir auquel je m’accroche avec ferveur, que mon frère montagnard de Plymouth s’empressera de m’y serrer les mains une fois de plus.
Ainsi discourant comme Chrétien et Fidèle, chemin faisant, lui et moi parvînmes à un petit hameau à proximité du Tarn. Ce n’était qu’une humble localité du nom de La Vernède, comprenant moins d’une douzaine de maisons et une chapelle protestante sur une butte. Ici habitait le vieillard et ici, à l’auberge, je commandai mon déjeuner. L’auberge était tenue par un aimable jeune homme casseur de pierres sur la route, et par sa sœur, jeune fille jolie et avenante. L’instituteur du village s’amena pour bavarder avec l’étranger. Toutes ces personnes étaient des Protestants, – fait qui me plut au-delà de ce que j’en eusse attendu. Et ce qui me fit encore davantage plaisir, c’est que tous semblaient des gens simples et honnêtes. Le Frère de Plymouth m’entoura d’une sorte de sollicitude affectueuse et, par trois fois au moins, il revint s’assurer que j’étais satisfait de mon menu. Sa manière d’agir me toucha profondément et, maintenant encore, son souvenir m’émeut. Il craignait d’être importun, mais il ne quittait pas volontiers ma compagnie une minute et il semblait ne jamais se lasser de me serrer les mains.
Lorsque tous les autres furent partis à leur travail, je m’assis pendant près d’une demi-heure à deviser avec la jeune patronne de l’établissement. Elle parla gentiment du produit de sa récolte de châtaignes et des beautés du Tarn et des antiques attaches de famille qui se brisent sans cependant cesser de subsister quand les jeunes gens s’éloignent de leur chez soi. C’était, j’en suis certain, une excellente nature, d’une franchise campagnarde qui cachait beaucoup de délicatesse ; qui l’aimera sera, sans doute, un jeune homme heureux.
La vallée en dessous de La Vernède me plaisait de plus en plus, au fur et à mesure que j’avançais. Tantôt les montagnes nues et couvertes d’éboulis se rapprochaient de part et d’autre et emprisonnaient la rivière entre des falaises. Tantôt, la vallée s’élargissait et verdoyait comme une prairie. La route me conduisit au-delà du vieux château-fort de Miral, situé sur un éperon, au-delà d’un couvent crénelé depuis longtemps détruit et converti en église et presbytère ; au-delà aussi d’un groupe de toits noirs, le village de Cocurès assis parmi les vignobles, et les prés et les vergers riches de pommes rouges. Là, au long de la chaussée, des gens gaulaient des noix aux arbres d’un côté de la route et en remplissaient sacs et paniers. Les montagnes, quoique la vallée demeurât spacieuse, étaient toujours hautes et dénudées aux dentelures âpres, avec, çà et là, des aiguilles qui pointaient. Et le Tarn murmurait toujours parmi les pierres sa chanson montagnarde. Je m’étais attendu, d’après des touristes à l’humeur pittoresque, à trouver une région horrifique selon le cœur de Byron. À mes regards d’Écossais, elle semblait riante et généreuse, tandis que la température donnait à mon corps d’Écossais, une sensation d’arrière-été. Pourtant les châtaigniers étaient déjà dépouillés par l’automne et les peupliers qui commençaient ici à s’y mêler, étaient devenus d’or pâli aux approches de l’hiver.
Il y avait dans le site un aspect souriant malgré sa rudesse qui m’expliquait l’esprit de ces Covenantaires du Midi. Ceux qui, en Écosse, se réfugièrent dans les montagnes pour la paix de leur conscience, étaient tous d’humeur mélancolique et troublée, car une fois qu’ils avaient reçu assistance de Dieu, ils avaient au moins deux fois été en lutte avec le diable. Mais les Camisards n’avaient que de claires visions auxiliatrices. Ils trempaient davantage dans le sang, à la fois comme vainqueurs ou vaincus ; pourtant je ne vois dans leurs archives nulle possession diabolique. Ils continuaient de vivre la conscience tranquille dans ces rudes temps et malgré les circonstances. L’âme de Séguier, ne l’oublions pas, ressemblait à un jardin. Ils se savaient à la droite de Dieu, avec une certitude sans égale chez les Écossais. Car les Écossais, bien que assurés de leur cause, n’avaient jamais confiance en eux-mêmes.
« Nous courions, raconte un vieux Camisard, lorsque nous entendions le chant des psaumes, nous courions comme si nous avions des ailes. Nous ressentions, à l’intime de nous, une ardeur exaltante, un désir qui nous soulevait. Des mots ne peuvent traduire nos sentiments. C’est quelque chose qu’il faut avoir ressenti pour le comprendre. Aussi harassés que nous pouvions être, nous ne pensions plus à notre fatigue et nous devenions enthousiastes dès que le chant des psaumes arrivait à nos oreilles. »
La vallée du Tarn et les gens rencontrés à La Vernède m’expliquèrent non seulement ce texte, mais les vingt années de souffrance que ceux-là qui étaient si obstinés et sanguinaires dès qu’ils s’étaient engagés au combat, endurèrent avec une douceur d’enfants et une constance de paysans et de saints.