Une histoire qui déraille
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Je n’étais pas certain d’avoir vraiment tout entendu, mais je lui faisais quand même un sourire et un petit signe de tête pour acquiescer, ne serait-ce parce que les gens aimaient bien qu’on fût d’accord avec eux, et parce que je pensais que cela pouvait aussi me permettre d’avoir la paix. Malheureusement, il arrivait souvent que je fisse la paix avec mon voisin, mais que celui-ci finît quand même par venir chez moi me piétiner sur mon paillasson.
J’appréciais néanmoins mon collègue. Avec lui, j’avais l’impression d’avoir un peu les pieds sur terre. Il avait ceci de particulier qu’il prenait toujours les choses comme elles lui arrivaient, sans jamais se demander s’il ne valait pas mieux faire un pas de côté de temps en temps. Et pourtant, je n’avais pas l’impression qu’il en prenait plein la gueule, si j’osais utiliser le vocabulaire un peu fleuri qui était le sien. Sa simplicité n’avait d’égale que sa lucidité finalement. Il avait l’air franchement à l’aise avec le monde qui l’entourait, ce qui n’était pas franchement mon cas. Il semblait vivre facilement la réalité pendant que moi j’avais l’impression de chercher la vérité au milieu d’un monde irréel. De son côté, il venait d’encaisser deux clients et avait, en quelques phrases bien senties, redéfini toute la stratégie du monde de l’édition et trouvé une nouvelle idée de roman à succès. De mon côté, l’histoire était différente, vraiment différente. Comme si elle avait complètement déraillé.