Quand l’étude n’est pas suffisante
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La Torah est notre vie sans laquelle rien de « juif » ne peut se concevoir. Généralement nous la prenons comme objet d’étude. Grâce à elle, en effet, l’homme peut devenir meilleur et comprendre un peu mieux le sens de son existence. Mais pour Rachi ce n’est pas tout à fait ce que Hachem attend de nous. Le commentateur nous l’expliquera au début de notre paracha.
« Si dans Mes décrets vous avancez et si Mes commandements vous gardez et les accomplissez ». C’est avec ces mots [1] que débute notre paracha.
Le terme « décrets » s’apparente étymologiquement au mot חוקים/’houkim qui renvoie à une catégorie de « mitzvots » très précise : celles qui n’ont aucune base logique et qui ne sont accomplies que par soumission à la Parole divine [2]. Or curieusement ici Rachi va donner à ce mot un sens tout à fait nouveau. S’inspirant du Midrach « Thorath Cohanim » il explique le mot « décrets » comme l’obligation de se fatiguer dans l’étude de la Torah. On pourrait s’étonner d’un tel commentaire car Rachi nous propose une véritable contradiction. Comment peut-il associer l’étude de la Torah qui exige logique, compréhension et nécessité de raisonnement avec un mot (décrets/houkim) qui suggère la soumission (à la volonté de Hachem) sans chercher à réfléchir et à comprendre ?
Gravée dans l’âme
Pour avoir la réponse à cette question nous citerons un commentaire de Rabbi Shneour Zalmane [3] qui rapproche le mot חוקים/’houkim du mot חקיקה/hakika qui signifie « gravure » [4]. Lorsque des lettres sont gravées sur la pierre, elles forment une seule entité avec le support, à la différence de l’écriture qui s’obtient par de l’encre posée sur du papier. Ces deux éléments restent distincts et ne se fondent pas l’un dans l’autre. Les lettres gravées sur leur support, elles, ne peuvent être séparées de lui : elles sont unies avec lui.
C’est sur ce fondement que doit s’établir le lien du Juif avec l’étude de la Torah. Lui et elle ne sont nullement deux choses différentes qui peuvent s’unifier et se défaire. La Torah est gravée dans l’âme du Juif, et ne forme avec lui qu’une seule réalité.
Jusqu’au bout de nos forces
Comment peut-on arriver à vivre cette unité ? « Si dans Mes décrets vous avancez… », nous répond la Torah, mots que Rachi interprètent comme le fait de se fatiguer dans l’étude, mais une fatigue sur un mode de « décrets ». Il est vrai qu’il ne peut y avoir étude de la Torah sans compréhension mais cette étude doit être le fruit de la soumission à Hachem.
Expliquons-nous. Devant un texte de Guémara, de Halakha ou de pensée juive, le Juif doit s’investir complètement pour comprendre la parole de Hachem, mais cet engagement doit se faire non par intérêt personnel ou pour (exclusivement) le plaisir de l’étude mais parce que Hachem nous le demande en tant que « mitzva ». Dès lors puisque l’étude n’est pas un plaisir personnel, un passe temps ou un objet de satisfaction culturel mais un ordre divin, il doit être appliqué sans limite aucune jusqu’au bout de nos forces. Et c’est là que l’union de l’homme avec la Torah se réalisera pleinement. On trouve une allusion à cela dans les Tehilim (Psaumes). Le verset 2 du chapitre premier nous dit : « Car la volonté de l’homme est dans la Torah de Hachem et dans Sa Torah il médite jour et nuit. » Le sens premier de ce texte est clair : puisque la volonté de l’homme est d’étudier la Torah de Hachem, il va consacrer le jour et la nuit à Sa Torah. Mais on peut lire ces mots différemment : si l’homme met toute sa volonté dans l’étude alors la Torah devient « sa » Torah (sa possession personnelle tant il est uni à elle).
Progresser
Mais ce n’est pas tout. Si l’on a compris que l’on ne doit pas se contenter d’étudier mais aussi et surtout de se fatiguer dans l’étude on ne peut s’arrêter là. Notre verset en effet précise : « Si dans mes décrets vous avancez ». Il doit y avoir progression, dans la qualité de la soumission parce que la Torah est infinie et qu’elle exige de par ce fait (pour être totalement intégrée à nous) un engagement infini.
[1] Notre traduction n’est pas d’un français très élégant mais c’est un choix de notre part, pour « coller » le plus au texte hébreu
[2] comme par exemple l’interdit du mélange « lait viande » qui n’a aucune base rationnelle pouvant nous aider à l’accomplir
[3] Fondateur du hassidisme ’Habad
[4] Dans le sens d’objet gravé