Le temps nous fait tant de cadeaux
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Je me suis parfois risqué à dire que je n’aimais pas spécialement fêter mon anniversaire. Peut-être parce que trop souvent, à cette occasion, je me suis retrouvé dans état proche de celui du petit trentenaire cher à Bénabar :
Voilà c’est fait je les ai soufflées
Ces putains de bougies
Je suis pas amer
J’ai juste les nerfs, j’ai pas dormi
Comme vous avez tous annexé
Les jolies chambres d’amis
J’ai somnolé deux heures
Façon trappeur sur le tapis
Effectivement, dans de telles conditions, qui voudrait avoir envie de fêter son anniversaire ? Aussi, en ce 11 novembre où, mine de rien, le soleil se couchera à seulement 17 h 15, je suis allé rendre visite à la Torah pour tenter d’y voir plus clair. Voici donc les enseignements que j’ai pu en tirer :
Selon les Sages, « Celui qui célèbre son anniversaire n’accomplit pas obligatoirement une Mitsva (une bonne action), mais il ne fait pas non plus, une ’Avéra (une faute) ».
Avec cela, nous sommes bien avancés ai-je envie de dire… En fait, tout dépend de la façon dont on fête son anniversaire :
1er cas. Il n’y a pas de doute que l’anniversaire célébré en grande pompe « développe le narcissisme et l’égocentrisme caractéristique de la société occidentale moderne ».
2ème cas. C’est uniquement si l’on profite de ce jour pour exprimer la joie ressentie pour avoir mérité d’être venu au monde et y accomplir la volonté de l’Éternel, qu’il est possible de marquer ce jour par une fête ou d’envisager un repas.
Dans la mesure où nous sommes tous là, autour de cette table, le sourire aux lèvres, dans une atmosphère amicale et détendue, et prêt à déguster un bon repas (même moi d’ailleurs, mais ça c’est une autre histoire), il me semble que nous sommes bien dans le deuxième cas. Néanmoins, pour le vérifier, voici la liste des actions concrètes à mettre en œuvre par celui dont on fête l’anniversaire :
1. Le jour de son anniversaire, on s’isolera un peu, on évoquera ses souvenirs et on veillera à réparer ce qui doit être réparé (il ne s’agit pas ici de bricolage). Pour ce qui est de l’isolement, les trois semaines passées à Vittel me semblent répondre au cahier des charges. Et puis le jour de mon anniversaire, j’ai passé près de quatre heures dans ma voiture pour rentrer chez moi (sans prendre la moindre auto-stoppeuse).
2. On prendra de bonnes résolutions, aussi bien dans le domaine de la Torah que dans ses relations avec les autres. Ainsi donc, je vous ai convié à venir fêter avec moi mon anniversaire, ce qui n’est pas un mince exploit !
3. On étudiera davantage et on récitera un discours contenant des paroles de Torah. De même on donnera davantage de Tsedaka (charité). Pour le discours, c’est bon. Quant à la charité… la charité est une bonne action qui doit se passer de toute publicité.
4. Un homme essaiera d’être appelé à la Torah le Chabbat avant son anniversaire ou le jour même. Là, c’est mort.
5. Le jour de son anniversaire, on récitera si possible les cinq livres des Tehilim (Psaumes) ou au moins un de ces cinq livres. J’ai lu quelques psaumes depuis le 8 novembre, et j’ai choisi cet extrait où, à propos de l’Éternel, il est dit : « Moi, j’ai confiance en ta bonté, mon cœur est joyeux de ton secours : je veux chanter l’Éternel, car il me comble de bienfaits. »
6. On s’efforcera de manger un fruit nouveau le jour de son anniversaire afin de réciter la bénédiction Chéhé’héyanou : Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Véhigianou Lizmane Hazé. « Béni sois-Tu, Éternel notre Roi Qui nous a fait vivre, exister et parvenir à ce jour-ci ». D’où la mangue que vous voyez à mes côtés.
Même si je n’ai pas coché toutes les cases, j’espère que vous serez d’accord pour dire que je ne m’en sors pas trop mal (moi, je ne peux pas le dire, dans la mesure où je me dois de rester humble et modeste). Et je peux même cocher une case supplémentaire, à condition que je revienne sur l’action suivante : « on évoquera ses souvenirs »
Je suis donc né le 10 novembre 1970, coincé entre deux dates : en effet, le Général de Gaulle est décédé le 09 novembre 1970. Aussi, pas étonnant que ma naissance soit passée complètement inaperçue. De plus, chaque année, dès le lendemain, c’est le 11 novembre… Chaque 11 novembre, aussi loin qu’il m’en souvienne, j’allais à la messe où, en plus de l’assistance habituelle, la nef accueillait solennellement d’anciens combattants portant haut les couleurs de la France, en souvenir du 11 novembre 1918, jour où un armistice signé à 5 h 00 dans un train, marqua la fin des combats de la première guerre mondiale. Une fois la messe terminée, c’était alors une lente procession qui, souvent sous le froid et la grisaille, s’ébranlait en direction du cimetière, situé à un kilomètre, en bordure du petit village de 350 habitants dans lequel j’ai passé toute mon enfance. Là, après une longue minute de silence, la sonnerie aux morts retentissait avant que soient égrenés, un par un et par ordre alphabétique, les noms de tous les villageois « morts pour la France » :
Louis Corbin, mort pour la France !
Maurice Corbin, mort pour la France !
Robert Périguois, mort pour la France !
…
Après cette longue énumération, une nouvelle minute de silence face au monument aux morts. Puis, toujours en silence, la petite foule rassemblée de quitter le cimetière à petit pas. Et là, à peine la grille du cimetière refermée, je sentais immédiatement un changement d’atmosphère. Les visages graves cédaient la place aux sourires, et les chuchotements disparaissaient derrière des conversations plus enjouées. De plus, aidée par une route qui était en légère descente, chacun pressait le pas. Mais pourquoi cette soudaine agitation ? Parce qu’il était près de 13 h et qu’un vin d’honneur suivi d’un repas allait être servi dans la salle commune de la mairie (quand je dis la salle commune, je ne parle pas ici d’une salle polyvalente comme on en voit maintenant. Imaginez plutôt une pièce pas très grande composée de trois ou quatre grandes tables en bois avec des bancs, et d’un minuscule coin cuisine). Malheureusement, Il était rare que je restasse très longtemps dans cette atmosphère enjouée et conviviale, à mon grand désarroi d’ailleurs, car je dois vous avouer que je préférais largement cette joyeuse célébration du temps présent à la triste commémoration d’une époque lointaine qui m’échappait complètement.
Et le temps passe d’hier en demain
Ça me tragique ça me cruelle
Mais j’y peux rien
Même les pompiers au regard si franc
Sur un calendrier n’ont rien de rassurant
C’est amusant, car ce couplet de la chanson de Bénabar me rappelle que lors des cérémonies du 11 novembre, il y avait toujours, au milieu des anciens combattants, deux ou trois pompiers en uniforme de cérémonie, et souvent je me suis demandé pourquoi ils étaient là !
Non, mon cher trentenaire, le temps qui passe n’a rien de tragique ni de cruel. Le temps n’est pas une unité de mesure qui file entre les doigts de l’homme ; le temps est un compagnon fidèle qui nous rend visite régulièrement, de façon cyclique, le moment venu : ainsi tous les matins, commence une nouvelle journée, une journée qui aura sa propre identité, sa propre particularité, sa propre raison d’être. D’ailleurs, c’est d’autant plus important, dès lors que l’on commence à voir nos cheveux se blanchir, et nos ambitions et autres illusions faire partir du passé, de savoir que nous avons, chaque matin, une raison d’être. De plus, parce qu’il m’arrive, je dois vous l’avouer, de « rater ma journée », je sais que dès le lendemain, je pourrai me rattraper. Bien entendu, il y a également le Chabbat, ce jour si particulier et ô combien extraordinaire où l’être humain a la possibilité de devenir un bâtisseur du temps ; un jour où l’on ne perd pas son temps, un jour où l’on n’essaye pas, désespéramment, de gagner du temps. Non, le Chabbat, c’est le jour où l’on prend son temps, tout simplement.
Et d’ailleurs, prendre son temps, ne peut-on pas également l’appliquer aux autres jours de la semaine ? Le jour de mon anniversaire, puis-je prendre mon temps ? Je répondrais plutôt par l’affirmative, car je m’aperçois que j’ai bien pris le temps de vous lire ce texte. Ce que j’espère, c’est qu’en prenant mon temps, je ne vous ai pas faire perdre le vôtre. Oui, cela peut être compliqué la concordance des temps, et loin de moi l’idée que je vous parlasse, au temps présent, de l’imparfait du subjonctif. Aussi, si je devais vous avoir fait perdre un peu de votre temps, je vous prierais de bien vouloir m’excuser de ce petit contretemps.
11 novembre 2024