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Jean de Meung (1250 - 1305)
La vraie noblesse
Les princes ne méritent pas
Qu’un astre annonce leur trépas
Plutôt que la mort d’un autre homme :
Leur corps ne vaut pas une pomme
De plus qu’un corps de charretier,
Qu’un corps de clerc ou d’écuyer,
Je les fais pareillement nus,
Forts ou faibles, gros ou menus,
Tous égaux sans exception
Par leur humaine condition.
Fortune donne le restant,
Qui ne saurait durer qu’un temps,
Et ses biens à son plaisir donne,
Sans faire acception de personne,
Et tout reprend et reprendra
Sitôt que bon lui semblera.
Si quelqu’un, me contredisant,
Et de sa race se targuant,
Vient dire que le gentilhomme
(Puisqu’ainsi le peuple les nomme)
Est de meilleure condition
Par son sang et son extraction
Que ceux qui la terre cultivent
Et du labeur de leurs mains vivent,
Je réponds que nul n’est racé
S’il n’est aux vertus exercé,
Nul vilain, sauf par ses défauts
Qui le font arrogant et sot.
Noblesse, c’est cœur bien placé,
Car gentillesse de lignée
N’est que gentillesse de rien
Si un grand cœur ne s’y adjoint.
Il faut donc imiter au mieux
Les faits d’armes de ses aïeux
Qui avaient conquis leur noblesse
Par leurs hauts faits et leurs prouesses ;
Mais, quand de ce monde ils passèrent,
Toutes leurs vertus emportèrent,
Laissant derrière eux leur avoir :
C’est tout ce qu’il reste à leurs hoirs ;
Rien d’autre, hors l’avoir, n’est leur,
Ni gentillesse, ni valeur,
À moins qu’à noblesse ils n’accèdent
Par sens ou vertu qu’ils possèdent.
Au clerc il est bien plus aisé
D’être courtois, noble, avisé
(je vous en dirai la raison)
Qu’aux princes et aux rois qui n’ont
De lettres la moindre teinture ;
Car le clerc trouve en écriture,
Grâce aux sciences éprouvées,
Raisonnables et démontrées,
Tous maux dont il faut se défaire
Et tout le bien que l’on peut faire :
Choses du monde il voit écrites
Comme elles sont faites et dites.
Il lit dans les récits anciens
Les vilenies de tous vilains
Et les hauts faits des héros morts,
De courtoisie un vrai trésor.
Bref il peut voir, écrit en livre,
Tout ce que l’on doit faire ou suivre ;
Aussi tout clerc, disciple ou maître,
Est noble, ou bien le devrait être ;
Le sachent ceux qui ne le sont :
C’est que le cœur trop mauvais ont,
Car ils sont plus favorisés
Que tel qui court cerfs encornés …
Traduit de l’ancien français par André Lagarde et Laurent Michard,
Edition Bordas, 1948
Roger Milliot (1927 – 1968)
Ville
On cherche en vain son ciel
Dans le regard de ceux
A qui l’on demande une rue
Où trouver l’amitié d’un arbre,
Ces rues comme des sarcophages
Où l’on vient essayer sa mort
Monde de chenilles arpenteuses
Glissement souple des échines
L’un contre l’autre répété
Tiédeur corrosive des foules
Toutes ces vies parallèles
Sans horizon pour les joindre
Dans les cités d’indifférence
Ils appellent fraternité la cohabitation
Ils refusent le halo autour des choses
Coupés les cheminements du feu
Terni de cendre l’héritage
Pitié pour les oreilles sourdes au chant du monde
Pour les œillères mises à l’homme de trait,
Qui ne verra le ciel qu’à sa lucarne
Et ceux pour qui le temps est à tuer.
Alfred de Mussey (1810 – 1847)
Chanson de Fortunion
Si vous croyez que je vais dire
Qui j’ose aimer,
Je ne saurais, pour un empire,
Vous la nommer.
Nous allons chanter à la ronde,
Si vous voulez,
Que je l’adore et qu’elle est blonde
Comme les blés.
Je fais ce que sa fantaisie
Veut m’ordonner,
Et je puis, s’il lui faut ma vie,
La lui donner.
Du mal qu’une amour ignorée
Nous fait souffrir,
J’en porte l’âme déchirée
Jusqu’à mourir.
Mais j’aime trop pour que je die
Qui j’ose aimer,
Et je veux mourir pour ma mie
Sans la nommer.