Berechit - Chapitre 1

lundi 4 mars 2024
par  Paul Jeanzé
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בְּרֵאשִׁית, בָּרָא אֱלֹהִים, אֵת הַשָּׁמַיִם, וְאֵת הָאָרֶץ

1. Au commencement, Hachem créa le ciel et la terre

AU COMMENCEMENT.
Dès ses premiers mots, la Torah proclame solennellement la grande vérité fondamentale : Hachem est le commencement et l’origine de toutes choses. La matière cosmique n’est pas éternelle, elle n’est pas la source première ni le principe même de toute vie terrestre. C’est Hachem qui créa la matière à partir du néant. C’est Lui qui créa l’univers « au commencement », c’est-à-dire à un moment dépendant uniquement de sa libre volonté.

L’affirmation de la Création ex nihilo se place au début du livre saint parce que c’est sur elle que repose la foi en un Créateur unique et tout-puissant qui n’est pas lié lui-même à la matière, mais qui, en créant le monde, poursuit un but déterminé. Si Hachem avait en face de lui une matière déjà existante, il s’en trouverait forcément limité et le monde issu de son œuvre ne serait pas une création libre ni parfaite. Avec une telle matière, Hachem ne pourrait former qu’un monde relativement bon, mais non parfait. Tous les maux physiques et toutes les dépravations morales auraient leur origine dans l’imperfection de la matière de base et Hachem lui-même ne serait pas capable de l’en affranchir. L’homme ne pourrait pas se rendre maître de son corps, pas plus que Hachem ne pourrait être maître de la matière cosmique. La liberté disparaîtrait du monde et ce serait la nécessité aveugle et désolante qui gouvernerait le monde avec son dieu et les hommes. Telle est la doctrine fallacieuse qui est encore de nos jours à la base de toute conception païenne. Ce mensonge cosmogonique prive l’homme de la vérité, c’est-à-dire la concordance avec le réel, et il conduit, ce qui est pire, à la négation de la liberté de Hachem et des hommes, supprimant par la même toute notion de morale.

La première parole de la Torah réduit cette théorie à néant. Elle proclame hautement que la substance et la forme de tout ce qui existe sont issues de la libre volonté toute-puissante du Créateur. Et il continue à disposer, en toute liberté, de tous les êtres, de leur substance et de leur forme, de forces qui les animent, des lois qui les régissent et des formes qu’ils revêtent ; car c’est sa libre volonté toute-puissante qui a créé la substance et qui lui dicte les lois, selon lesquelles elles façonnent les formes. Et de même que le Créateur gouverne librement son univers, ainsi a-t-il pu donner à l’homme, auquel il insuffla une étincelle de son Être, la liberté sur son petit univers à lui, la liberté sur son corps et sur ses forces. L’homme représente ainsi la libre image du libre Créateur au sein de l’Univers souverainement dominé par sa toute-puissance. (S.R. Hirsch. [1])

בָּרָא - CRÉA
Le terme « Bara » est réservé à la création divine à partir du néant. L’activité productrice de l’homme est désignée par l’expression : faire ou former. La notion de la « création à partir du néant » est érigé en dogme fondamental de la religion. Car, explique Maïmonide, sa négation aboutit à la philosophie déterministe de l’éternité du monde qui élimine toute croyance à la prophétie et au miracle (Guide des Égarés t. II, ch. 25). La création à partir du néant, par contre, est le principe de base qui nous permet de concevoir la liberté de la volonté divine et, par conséquent, aussi celle dont elle a doté les créatures humaines.

Cependant, il a paru nécessaire aux penseurs juifs d’analyser de plus près le concept de la création à partir du néant. Le problème qui se posait à leur réflexion était le suivant : le passage de l’esprit pur à la matière effectué par un acte de volonté divine a-t-il pu avoir lieu sans transition ? La réponse donnée est généralement négative. Et dès le début de son Commentaire de la Thora, un de nos plus grands Maîtres, Na’hmanide, fait état d’une « force dynamique », déjà mentionnée par Platon, et qui constitue le facteur intermédiaire entre l’esprit et la matière. Cet élément primaire que les philosophes grecs appelaient : Hylé, revient souvent dans les considérations des penseurs juifs. C’est une force amorphe, indéterminée, confuse, que la Thora désigne sous le terme de : Tohu (verset 2) et dont les caractéristiques ne sont pas certaines (S. Munk, Guide II, 13), mais dont la propriété essentielle est le pouvoir de conférer la forme à l’être en puissance pour qu’il devienne l’être en acte. Ce même facteur apparaît dans la Cabbale lourianique sous forme de lumière divine émanée de l’Infini dans l’espace. Elle se compose d’une infinité de points isolés et s’épanche sous une forme « atomisée ». Ce monde des lumières punctiformes (ôlam ha-neqûdôth) est, pour Louria, le monde de la confusion (ôlam ha-tôhû). Cette force de rayonnement occupe le même rang que le Hylé des philosophes. Il s’agit dans les deux cas de la même force constructive de la matière dont les caractéristiques semblent échapper à la continuité générale des lois naturelles. Toujours est-il que la création ex nihilo comprend, selon la doctrine juive, l’action d’un facteur qui se situe entre le néant et la substance, et cette « force dynamique », dont parlent les philosophes juifs, semble rejoindre le concept de l’énergie dans la physique nucléaire. Toutes deux se présentent comme étant le facteur organisateur de la matière, toutes deux constituent la phase intermédiaire entre le monde abstrait et le monde concret.

La science moderne qui a pu identifier cet élément ira-t-elle plus loin encore et découvrira-t-elle un jour l’Esprit créateur qui est à l’origine de l’élément matériel ? Nul ne saurait y répondre, mais le fait mérite néanmoins d’être souligné que la science est engagée dans une voie qui mène résolument vers l’abstrait et vers l’unité. De nombreux physiciens ont décrit cette évolution depuis les antiques débuts de la recherche scientifique. Hegel n’a-t-il pas déjà pressenti que « l’existence pure et le néant sont identiques » ? L’histoire de la science continue « jusqu’à ce que nous soyons arrivés à un système de la plus grande unité concevable et de la plus grande pauvreté de concepts des fondements logiques qui sont encore compatibles avec l’observation faite par nos sens (c’est-à-dire un système de caractère abstrait). Nous ne savons pas si, oui ou non, cette ambition aboutira à un système défini… Toutefois, en luttant avec les problèmes on n’abandonnera jamais l’espoir que ce but, le plus grand de tous, puisse effectivement être atteint à un très haut degré » (Einstein).

אֱלֹהִים - HACHEM
« Le roi (des Grecs) Ptolémée (305 - 285) convoqua 72 anciens et les plaça dans 72 maisons, sans leur dire à quelle fin il les convoquait. Il alla alors chez chacun d’eux séparément et leur dit : Écrivez-moi (en grec) la Thora de votre Maître Moïse. L’Éternel leur donna la même pensée dans leur cœur et ils concordèrent tous dans la même décision et écrivirent : Hachem créa au commencement » (Meggila 9a).

Les 72 savants juifs qui traduisirent pour la première fois la Thora en une langue étrangère (version connue sous le nom de Septante) intervertirent dans leur traduction les premiers mots de Berechit, afin de prévenir l’erreur que Hachem a été précédé d’un autre principe ou que le « commencement » serait à considérer comme sujet de la phrase. Mais la Thora qui, elle, ne tient pas compte des possibles erreurs subjectives, ne met le nom de Hachem qu’en troisième place et le fait précéder de la notion du temps et de celle de la création. Car elle entend faire savoir à l’homme, dès le début, que la connaissance du Créateur ne peut être acquise que par la connaissance de la Création et celle des catégories de la vie terrestre. C’est en observant et en étudiant la nature, en prenant conscience des attributs divins, que l’on accède progressivement à la connaissance du nom de Hachem. « Tu me verras par derrière, dit l’Éternel à Moïse, mais ma face ne peut être vue » (Chemot, ch 32, v 23). L’homme ne peut connaître Hachem que par ses actes, par sa Providence ou par sa parole, mais non par son essence elle-même.

La Thora ne postule pas Hachem comme un acte de foi absolu. Certes, l’existence de Hachem est partout présupposée et elle ne fait pas l’objet d’une démonstration ni d’un doute. Mais par la formulation du premier verset elle nous suggère discrètement de rechercher Hachem dans la Création et d’acquérir ainsi progressivement par notre intelligence ce que la Foi nous propose au début de notre expérience humaine. Car la Connaissance demeure le couronnement de la Foi.

Le récit de la Thora commence par la lettre בְּ en écriture majuscule, comme pour souligner que la création de l’univers n’est que le second facteur. Il appartient dès lors à l’homme de rechercher le premier facteur, qui est le Créateur et qui est antérieur au temps.

וְהָאָרֶץ, הָיְתָה תֹהוּ וָבֹהוּ, וְחֹשֶׁךְ, עַל-פְּנֵי תְהוֹם ; וְרוּחַ אֱלֹהִים, מְרַחֶפֶת עַל-פְּנֵי הַמָּיִם. ג וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יְהִי אוֹר ; וַיְהִי
2. La terre était solitude et chaos ; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et l’esprit d’Hachem planait sur la face des eaux. 3. Hachem dit « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut.

2. - ET LA TERRE ÉTAIT SOLITUDE ET CHAOS.
D’après Rachi, Ibn Ezra et autres commentateurs, il convient de considérer les deux premiers versets comme ne formant qu’une seule phrase ; Au commencement de la création des cieux et de la terre, alors que la terre était tohu et bohu et ténèbres, Hachem dit : Que la lumière soit. Selon cette explication, l’œuvre créatrice du premier jour était la lumière, alors que l’élément original avait été créé antérieurement. Cet élément comprenait en puissance et la substance et le principe organisateur de la forme, ayant la faculté de conférer aux objets la forme d’une substance solide, liquide, gazeuse ou calorifique.
À la lumière de cette conception qui fait apparaître l’ensemble de l’évolution future comme étant déjà potentiellement compris dans le premier acte créateur, on comprend mieux la Michna du Traité des Pères (V,1) qui nous apprend : « Le monde fut créé par dix paroles divines. Et n’aurait-il pas pu être créé par une seule parole ? notre explication montre, en effet, que le premier acte suffisait à toute la création). Mais c’était pour le châtiment des impies qui détruisent un monde créé par dix paroles ». C’est à comparer, a-t-on fait remarquer, à un architecte qui fait construire un grand vitrage, non pas en une seule grande surface de fenêtre, mais en dix vitraux. Si quelqu’un, expliquait-il, venait à jeter une pierre dans le vitrage, elle ne pourrait casser qu’un carreau et le dommage serait ainsi limité. De même, le Créateur édifia son univers par dix « paroles » et non par un seul acte créateur, afin de limiter le châtiment encouru par les impies qui entraînent la dégradation du monde et de récompenser davantage les justes qui maintiennent à la vie chacune des dix parties qui constituent l’édifice universel (cité au nom de R. Hayim de Wolozin).

ET LES TÉNÈBRES SUR LA FACE DE L’ABÎME
Les ténèbres ne sont pas à considérer comme l’absence de lumière, mais comme l’effet d’une création ad hoc [2]. Telle est l’opinion exprimée ici par Na’hmanide (et par le Gaôn de Vilna) se basant notamment sur les termes employés par le prophète Isaïe (XLV, 7) : « C’est moi qui suis l’Éternel et nul autre… Je forme la lumière et crée les ténèbres, etc. ». La création des ténèbres apparaîtrait ainsi comme précédant celle de la lumière et cet ordre des créations révèle un trait caractéristique dans l’ordre physique comme dans l’ordre naturel. C’est le principe même de l’évolution qui se produit en allant du négatif au positif et du néant à l’existence. Dans toutes les conditions terrestres la voie de la perfection doit suivre cette route.

ET L’ESPRIT DE HACHEM PLANAIT SUR LA FACE DES EAUX
C’est la présence mystérieuse, invisible et irradiante de l’être divin qui plane sur la matière inanimée pour lui insuffler le souffle de la vie et en faire la substance d’un monde vivant. L’eau comme étant la substance à partir de laquelle l’Univers s’est édifié, fut « le premier élément à exalter la gloire de Hachem, ainsi qu’il est dit (Ps. XCIII, 4) : Des voix des eaux profondes, des puissantes vagues de la mer (s’élève l’hymne) : Tout puissant dans les hauteurs est l’Éternel » (Gen. Raba V). Aussi Rachi expliquera-t-il : Le trône de la Majesté Divine se tenait dans les airs et planait à la surface des eaux…

3. HACHEM DIT
L’action de parler appliquée à l’être divin signifie un acte de volonté (Maïmonide, Guide des Égarés I, 65). Cependant, Juda Halévy, approfondissant cette assertion, démontre, en suivant la doctrine du Sefer Yetsira, l’identité de la pensée, de la parole et de l’acte à l’égard de Hachem. Dans la terminologie de cette œuvre cabbalistique, ces trois fonctions sont dénommées Sefar (le nombre) expression de l’intelligence ; Sippour (le récit) expression de la parole, et Séfer (l’écriture) expression de l’acte. Elles sont à l’origine des Sefiroth, sphères d’émanation de la divinité, en raison du pouvoir créateur inhérent à leur unité fonctionnelle (Kouzari IV, 25).

QUE LA LUMIÈRE SOIT
Depuis le jour où le monde fut créé et où l’homme fut séparé de la rayonnante sphère céleste par des couches épaisses de matière, la tâche la plus urgente dans l’immédiat et dans la future chaîne des générations est celle de faire éclater la lumière du milieu des ténèbres.

ET LA LUMIÈRE FUT.
Cette lumière, distincte de celle que dispensera ultérieurement le soleil, doit dissiper les ténèbres qui couvrent l’abîme. La théorie des nébuleuses cosmiques permet de répondre à l’ancienne question de savoir d’où émanait la lumière avant la création du soleil. L’astronome Halley écrit à ce propos : « Ces nébuleuses résolvent entièrement la difficulté contenue dans le récit de la Thora concernant la Création, à savoir que la lumière ne pouvait être produite sans le soleil ».

וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת-הָאוֹר, כִּי-טוֹב ; וַיַּבְדֵּל אֱלֹהִים, בֵּין הָאוֹר וּבֵין הַחֹשֶׁךְ. וַיִּקְרָא אֱלֹהִים לָאוֹר יוֹם, וְלַחֹשֶׁךְ קָרָא לָיְלָה ; וַיְהִי-עֶרֶב וַיְהִי-בֹקֶר, יוֹם אֶחָד. פ

4. Hachem vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière des ténèbres. 5. Hachem appela la lumière Jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, - jour un.

4. HACHEM FIT UNE SÉPARATION.
Hachem ne fit pas dominer les ténèbres par la lumière, en dépit du fait qu’il la regarda comme étant « bonne », mais il les laissa subsister et les sépara de la lumière. Dès le début de la création, Hachem institua, en effet, le grand principe de la Habdaloth (séparation), dont le prototype est la séparation des genres, en sexe masculin et sexe féminin. Il sépara ainsi le Ciel et la Terre et, dans nos prières, nous adressons nos louanges à « Celui qui sépare le sacré du profane, la lumière des ténèbres, Israël des nations, le Chabbat des six jours de travail ».
Elle constitue, dans l’économie du monde, l’élément stimulant et catalyseur de la vie terrestre. C’est en effet la division universelle en deux éléments opposés qui assigne à l’homme sa tâche sur terre : déployer toutes es énergies pour surmonter ses dualismes et réaliser dans tous les domaines l’Unité suprême. Car tout découle d’une source unique et tout tend instinctivement à revenir à la source unique. Homme et femme ne formèrent à l’origine qu’un seul être humain ; mais ils furent divisés par la suite et constituèrent deux corps distincts. Aussi la tendance naturelle de former « une seule chair » est-elle profondément enracinée en eux-mêmes. Il en va de même des autres « séparations » qui ont été citées plus haut. Elles ne doivent nullement être considérées comme allant de soi et représentant un état de choses éternel, immuable et définitif. La séparation « entre lumière et ténèbres » est appelée à être surmontée dans les temps futurs où une « lumière nouvelle rayonnera sur Sion ». Parallèlement, la séparation d’Israël et des nations disparaîtra par l’épanouissement des forces morales de l’humanité, enfin unie dans la commune adoration du D. Un, et toutes les oppositions se fondront en une suprême unité. Alors, la distinction entre le Chabbat et les six jours de semaine fera place, elle aussi, à l’« époque qui sera entièrement Chabbat et repos de la vie éternelle ».

5. JOUR UN.
« La symétrie du texte aurait exigé : jour premier, comme aux jours suivants : deuxième, troisième, quatrième. Pourquoi a-t-on écrit : un ? C’est parce que Hachem était Un et Unique dans son univers » (Rachi). Le dualisme de la lumière et des ténèbres, institué dans la nature dès le premier jour de la création, est suivi, dans le texte de la Thora, de la phrase qui souligne la présence exclusive de Hachem au milieu de l’univers. Il n’est qu’Un, en dépit des phénomènes de dualisme au sein de la nature. Une des plus anciennes aberrations de l’esprit humain professait que les antagonismes constatés dans les phénomènes de la nature signifiaient la présence d’une multiplicité de divinités et plus particulièrement d’un dualisme composé d’une divinité pour le jour, la vie et le bien, et d’une autre pour la nuit, la mort et le mal. En dernière analyse c’est autour du choix entre la conception dualiste de l’univers et la conception monothéiste, que se sont livrés toutes les luttes idéologiques et toutes les guerres de religion depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours. C’est un spectacle impressionnant que d’observer comment l’humanité, dans son développement spirituel, évolue constamment, encore que pas à pas et non sans revers, vers un théisme [3] moniste [4] qui, de plus en plus, se rapproche progressivement de la conception théologique juive. Notre verset proclame le grand mot d’ordre אֶחָד (Un), ici pour la première fois, en rapport avec le premier phénomène dualiste établi dans la nature, afin de dissiper toute erreur de pensée. Et chaque matin, au moment où la journée se lève, l’Israélite qui s’apprête à proclamer le Chéma Israël la doctrine du pur monothéisme, réaffirme d’abord avec force que la lumière et son contraire, les ténèbres, ont pour auteur le même Hachem, Un et Unique, qui forme la lumière et crée les ténèbres, et qui, d’un monde de contradictions apparentes, fait surgir l’harmonie parfaite (cf. Berahot 11b).

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יְהִי רָקִיעַ בְּתוֹךְ הַמָּיִם, וִיהִי מַבְדִּיל, בֵּין מַיִם לָמָיִם. וַיַּעַשׂ אֱלֹהִים, אֶת-הָרָקִיעַ, וַיַּבְדֵּל בֵּין הַמַּיִם אֲשֶׁר מִתַּחַת לָרָקִיעַ, וּבֵין הַמַּיִם אֲשֶׁר מֵעַל לָרָקִיעַ ; וַיְהִי-כֵן. וַיִּקְרָא אֱלֹהִים לָרָקִיעַ, שָׁמָיִם ; וַיְהִי-עֶרֶב וַיְהִי-בֹקֶר, יוֹם שֵׁנִי. פ

6. Hachem dit : « Qu’il y ait un espace au milieu des eaux, et qu’il forme une barrière entre les unes et les autres. » 7. Hachem fit le firmament, opéra une séparation entre les eaux qui sont au-dessous et les eaux qui sont au-dessus su firmament, et il fut ainsi. 8. Hachem nomma le firmament : Cieux. Il fut soir, il fut matin, - second jour.

6. HACHEM DIT : « QU’IL Y AIT UN ESPACE… » Rachi : que l’espace se raffermisse. Bien que les cieux aient été créés dès le premier jour, ils étaient encore fluides. Ils se sont consolidés le deuxième jour au grondement de la voix d’Hachem, quand il a dit : Que le firmament soit... Tel un homme qui reste figé en entendant une menace qui fait peur.
Le premier jour nous révèle le pouvoir créateur irrésistible de la parole divine. Le second jour nous montre que la seule parole divine suffit à arrêter le flot impétueux de la création en pleine effervescence et à figer sur place les éléments de la nature. Le Maître de l’Univers ne s’est pas abandonné à son œuvre : il en reste le Maître absolu, et sa parole continue à commander souverainement. Il ne se confond pas avec le monde d’ici-bas, mais il trône librement au-dessus de la création, ordonnant et organisant tout de sa parole. Cette œuvre de fixation des éléments de l’espace nous apparaît dans les corps célestes qui peuplent les espaces sidéraux, où la force de gravité terrestre ne s’exerce plus, et qui sont comme suspendus dans le néant. Ne nous semblent-ils pas être figés sur place, comme sous l’effet du tonnerre de la voix divine ?

La signification des « eaux au-dessus de l’espace » mentionnées dans notre verset est difficile à préciser. Don Isaac Abrabanel cite cinq théories différentes à ce sujet, tandis que Na’hmanide souligne qu’il s’agit là de secrets de la Création et qu’il ne faut pas s’attendre à une explication de sa part, d’autant moins que la Thora elle-même ne s’attarde pas sur ce sujet. Cependant, les découvertes scientifiques des temps modernes nous permettent de mieux comprendre l’allusion de la Thora concernant la division entre les eaux d’en bas et celles d’en haut. Nous savons, en effet, aujourd’hui que plusieurs zones atmosphériques superposées existent dans l’immensité des espaces cosmiques, au-delà de ce que nous appelons la voûte céleste, et que l’hydrogène en est l’élément de base comme il l’est dans toute la création.

La doctrine cabbaliste voit dans les « eaux d’en haut » le facteur masculin, c’est-à-dire actif, fécondant, source de la rosée et des pluies bienfaisantes, par rapport aux « eaux d’en bas » que forment les océans, les fleuves, etc. (Gen. Rab. c4), et qui représentent le facteur féminin, c’est-à-dire passif, réceptif, agent de la forme (Midrach Haggadol, GEN VI). La vie terrestre est le fruit du mariage de ces deux facteurs et c’est dans ce sens que les docteurs du Talmud diront que l’écart entre les deux eaux ne dépasse pas « l’épaisseur d’un cheveu », mais qu’il peut aussi bien être très considérable, car les hommes ont le pouvoir de troubler l’union harmonieuse des sphères universelles et de provoquer le profond désaccord entre les éléments célestes et les éléments terrestres.

7. - ET IL FUT AINSI.
Et pourquoi la Thora ne dit-elle pas le deuxième jour : Hachem vit que c’était bien ? Parce que ce jour il y eut la division des eaux et puisqu’il y eut division, ce n’était pas bien (Midr. Haggadol, ibid.). Certes, le premier jour connut également une division, mais ce fut celle de deux éléments d’ordre différent, la lumière et les ténèbres, alors que la division du second jour concerna des éléments de la même catégorie, les eaux, et cette division ne peut jamais être qualifiée de bonne, quoiqu’elle soit indispensable à la vie universelle et qu’elle en constitue un principe fondamental.

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יִקָּווּ הַמַּיִם מִתַּחַת הַשָּׁמַיִם אֶל-מָקוֹם אֶחָד, וְתֵרָאֶה, הַיַּבָּשָׁה ; וַיְהִי-כֵן. וַיִּקְרָא אֱלֹהִים לַיַּבָּשָׁה אֶרֶץ, וּלְמִקְוֵה הַמַּיִם קָרָא יַמִּים ; וַיַּרְא אֱלֹהִים, כִּי-טוֹב. וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, תַּדְשֵׁא הָאָרֶץ דֶּשֶׁא עֵשֶׂב מַזְרִיעַ זֶרַע, עֵץ פְּרִי עֹשֶׂה פְּרִי לְמִינוֹ, אֲשֶׁר זַרְעוֹ-בוֹ עַל-הָאָרֶץ ; וַיְהִי-כֵן. וַתּוֹצֵא הָאָרֶץ דֶּשֶׁא עֵשֶׂב מַזְרִיעַ זֶרַע, לְמִינֵהוּ, וְעֵץ עֹשֶׂה-פְּרִי אֲשֶׁר זַרְעוֹ-בוֹ, לְמִינֵהוּ ; וַיַּרְא אֱלֹהִים, כִּי-טוֹב. וַיְהִי-עֶרֶב וַיְהִי-בֹקֶר, יוֹם שְׁלִישִׁי. פ

9. Hachem dit : « Que les eaux répandues sous le ciel soient rassemblées sur un même point, et que le sol apparaisse. » Cela s’accomplit. 10. Hachem nomma le sol Terre, et l’agglomération des eaux, il la nomma Mers. Et Hachem vit que c’était bien. 11. Hachem dit : « Que la terre produise des végétaux : des herbes développant une semence, des arbres fruitiers donnant, selon leur espèce, un fruit qui porte sa semence sur la terre. » Et cela s’accomplit. 12. La terre produisit des végétaux : des herbes qui développent leur semence selon leur espèce, et des arbres portant, selon leur espèce, un fruit qui renferme sa semence. Et Hachem considéra que c’était bien. 13. Il fut soir, il fut matin, - troisième jour.

10. - ET HACHEM VIT QUE C’ÉTAIT BIEN.
Le troisième jour de la création est le jour faste où l’affirmation que l’œuvre accomplie était bonne se trouve répétée par deux fois. En effet, le troisième jour est celui de l’harmonie réalisée entre le principe d’amour du premier jour et celui de la Loi du second jour. Le premier acte créateur est un cadeau d’amour offert aux créatures, dont l’expression fut la lumière qui inonda le monde. Le second acte apporte le nouvel élément du principe organisateur, la Loi, destinée à régler, à diriger, à contenir le flot expansif de l’amour qui se prodigue. Ce principe organisateur se manifeste le second jour dans la disposition des éléments entre les sphères supérieures et les sphères inférieures, première organisation de l’univers créé. Mais le troisième jour est le résultat de la coopération harmonieuse de l’amour et de la Loi. Les continents se détachent de l’océan et la nature se révèle dans toute sa splendeur avec ses « végétaux, ses herbes, ses arbres fruitiers ». En tant que création du troisième jour, la nature apparaît comme étant le produit de la prodigalité sans borne de Hachem et de l’action organisatrice de la loi naturelle. Cette alliance est à la base de la perfection et de l’harmonie de la nature. Elle l’est aussi, mais sous une forme différente, dans les autres ordres de la création, où règnent les mêmes éléments de force et de forme, ou, d’une manière plus générale, d’esprit et de matière. C’est toujours le fruit de cette union fertile qui mérite l’épithète כִּי-טוֹב (que c’était bien).

12. - SELON LEUR ESPÈCE
L’application de la loi d’organisation dans le cadre de la nature conduit à la stricte séparation des espèces, caractérisée par l’ordre divin qu’exprime le mot : לְמִינוֹ

L’observation de la nature, remarque S.R. Hirsch, nous confirme la rigoureuse application de cette loi fondamentale qui assigne à chaque espèce de la création sa sphère d’existence qui lui est propre et sa vocation particulière. « Et toi, fils de l’homme, respecte cette loi, lorsque, dans la poursuite de ta vocation humaine, tu entreprends d’intervenir dans le circuit de la nature, en mettant ses ressources à ton profit. N’oublie pas que Hachem ne t’a autorisé qu’à « servir et garder » la création (II, 15), mais non à troubler son ordre établi pour tes intérêts égoïstes. Ne l’oublie pas et ne tente pas d’intervertir cet ordre en transférant les forces inhérentes à une autre espèce qui en est distincte. C’est pourquoi il t’est interdit d’accoupler des animaux d’espèces différentes, de procéder à la greffe d’arbres d’espèces différentes, de mélanger des étoffes d’espèces différentes, tels que le lin et la laine et enfin, de cuire ensemble des aliments d’espèces différentes, tels que le lait et la viande (Horeb, Chap. 57).

ARBRE FRUITIER
Rachi : « L’arbre lui aussi devait avoir le goût du fruite (le texte porte littéralement : arbre de fruit). Mais la terre a désobéi et elle a fait sortir des arbres faisant des fruits (verset 12) et non pas des arbres qui fussent eux-mêmes des fruits. C’est pourquoi, lorsque l’homme sera maudit pour sa faute, la terre sera, elle aussi, punie pour cette faute-là, et maudite ». Certains penseurs estiment que si la terre a pu contrevenir aux ordres de Hachem, c’est parce que la liberté créatrice, qui régnait avant l’établissement définitif de la loi naturelle, donnait aux éléments une certaine marge de liberté. Notons d’ailleurs que les différentes parties de la création sont considérées comme étant animées d’une âme vivante et sont conscientes de leur existence (Maïm. Hilhoth Yessodé Hathora III, a). Elles servent Hachem de leur plein gré (Houllin 60 b) et elles obéissent à sa loi « avec joie et allégresse » et « avec respect et vénération », comme nous le disons si souvent dans nos prières. La faute de la terre citée dans notre verset se situe donc avant l’avènement de la loi naturelle. Elle avait à son origine un sentiment juste en lui-même, mais qui pêchait par excès de zèle. La terre, sachant que l’Éternel voulait la conservation des espèces, fit ce raisonnement : lorsque le genre humain sera créé et se multipliera, les hommes auront besoin pour leur nourriture de grandes quantités de fruits. Or, ils ne voudront pas attendre les années nécessaires à la croissance des fruits et ils abattront les arbres et s’en nourriront. L’espèce disparaîtrait alors rapidement. Mieux vaut faire en sorte que les arbres n’aient pas le même goût que les fruits. Ainsi, le premier péché commis au sein de la création fut celui de « l’excès de justice », stigmatisé en ces termes par Kohélet : « Ne sois pas juste à l’excès, ne sois pas sage plus qu’il ne faut ; pourquoi t’exposer à la ruine ? » (VII, 16).

Toujours est-il que l’état idéal où l’arbre et le fruit ont le même goût n’a pu se réaliser par suite de cette faute et depuis lors la création pâtit d’un état d’imperfection où le fond ne s’harmonise pas avec la forme et où l’antagonisme règne entre eux. Néanmoins, la Thora qualifie l’œuvre de ce jour de « bonne » et elle suit en ceci l’esprit optimiste qui se dégage de toutes les parties du récit de la Création, où ce qualificatif est si souvent répété. Pour l’optimiste, en effet, une œuvre qui est bonne en soi reste bonne, en dépit de certains défauts partiels. (Voir aussi Comm. Berechit III, 7).

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יְהִי מְאֹרֹת בִּרְקִיעַ הַשָּׁמַיִם, לְהַבְדִּיל, בֵּין הַיּוֹם וּבֵין הַלָּיְלָה ; וְהָיוּ לְאֹתֹת וּלְמוֹעֲדִים, וּלְיָמִים וְשָׁנִים. וְהָיוּ לִמְאוֹרֹת בִּרְקִיעַ הַשָּׁמַיִם, לְהָאִיר עַל-הָאָרֶץ ; וַיְהִי-כֵן. טז וַיַּעַשׂ אֱלֹהִים, אֶת-שְׁנֵי הַמְּאֹרֹת הַגְּדֹלִים : אֶת-הַמָּאוֹר הַגָּדֹל, לְמֶמְשֶׁלֶת הַיּוֹם, וְאֶת-הַמָּאוֹר הַקָּטֹן לְמֶמְשֶׁלֶת הַלַּיְלָה, וְאֵת הַכּוֹכָבִים. יז וַיִּתֵּן אֹתָם אֱלֹהִים, בִּרְקִיעַ הַשָּׁמָיִם, לְהָאִיר, עַל-הָאָרֶץ. יח וְלִמְשֹׁל, בַּיּוֹם וּבַלַּיְלָה, וּלְהַבְדִּיל, בֵּין הָאוֹר וּבֵין הַחֹשֶׁךְ ; וַיַּרְא אֱלֹהִים, כִּי-טוֹב. יט וַיְהִי-עֶרֶב וַיְהִי-בֹקֶר, יוֹם רְבִיעִי. פ

14. Hachem dit : « Qu’il y ait des corps lumineux dans l’espace des cieux, pour séparer le jour et la nuit ; ils serviront de signes, et pour les fêtes, et pour les jours, et pour les années ; 15 et ils serviront de luminaires, dans l’espace céleste, pour éclairer la terre. » Et cela s’accomplit. 16. Hachem fit les deux grands luminaires ; le grand luminaire pour régner le jour, le petit luminaire pour régner la nuit, et aussi les étoiles. 17 Et Hachem les plaça dans l’espace céleste pour rayonner sur la terre : 18 pour régner le jour et la nuit, et pour séparer la lumière des ténèbres. Hachem considéra que c’était bien. 19 Il fut soir, il fut matin, - quatrième jour.

14. HACHEM DIT : « QUE DES CORPS LUMINEUX APPARAISSENT ».
La différence entre la création de la lumière au premier jour et celle des corps lumineux du quatrième jour a déjà été expliquée au commencement du v.3. Certes, l’esprit humain n’a pu encore résoudre maints problèmes que pose le récit de la Thora de la création de la lumière, comme de la division en jour et nuit, etc. Mais il lui est permis pour le moins de saisir pleinement le rôle primordial attribué par l’Écriture à la création même de la lumière. C’est elle qui inaugura la création du monde et c’est par elle que « furent créées toutes les autres créatures », selon les termes du Zohar (Z. Hadach, 8). La lumière est désignée comme la source de toute énergie dans la nature ; sous l’effet de la lumière, la matière s’anime, c’et le primum movens des éléments, facteur qui confère le dynamisme à toutes les forces. Non seulement la lumière fait surgir le monde existant, elle en suscite les formes diversifiées à l’infini. Si la lumière est proclamée ici comme le principe de toutes les formes de la matière et celle de l’atome, c’est en plein accord avec les affirmations de la physique enseignant que la lumière est à la base de tous les autres phénomènes physiques. On connaît le rapport étroit entre lumière et chaleur, et lumière et magnétisme. La physique enseigne que « la lumière contient le germe d’un énergie infiniment variée, permettant une perception immédiate et par laquelle le monde matériel dans son ensemble est mis à l’abri de tout danger d’annihilation. Au contraire, l’état de ténèbres ne peut se réaliser sans que se produise un processus tendant à l’anéantissement et à la mort ».

CORPS LUMINEUX
מְאֹרֹת Ce mot, dit Rachi, est écrit sans la lettre וַ (et peut être lu Meerot, signifiant malédictions). Le quatrième jour est un jour de malédiction, où la diphtérie menace les petits enfants. C’est ainsi que le Talmud enseigne : le quatrième jour on jeûnait pour que la diphtérie ne frappe pas les petits enfants (Jer. Taanith IV, 3). Le problème de la mortalité des petits enfants innocents a souvent préoccupé nos Sages. Ils cherchèrent à lui donner des solutions irrationnelles en l’attribuant à certaines fautes commises par les parents (Rachi, Dev. XXIV, 16) ou à des épreuves infligées aux parents par la Providence (Tanh., Dev. XXII, 7) ou à d’autres raisons relevant de l’innocence même des enfants (Rachi, Ket. 8 b). Or, Rachi note ici que cette mortalité peut avoir des causes naturelles inhérentes à certaines lacunes dans l’œuvre de la création. Dès lors, les exercices de jeûne, entourés de prières, apparaissent comme étant le seul recours contre ce fléau.

ILS SERVIRONT DE SIGNES
Contrairement à la conception ordinaire, la Thora nous enseigne que le soleil et la lune ont été créés pour servir de « signes », comme pour la fixation du temps terrestre et du calendrier. C’est ensuite seulement que la Thora ajoute : ils serviront de luminaires, et Rachi souligne le caractère accessoire de cette fonction en expliquant : en plus de tout cela, ils serviront à éclairer le monde. Les astres n’étaient donc pas indispensables en tant que sources de lumière, comme le prouvent d’ailleurs les trois premiers jours de la création. Mais leur première fonction est de servir de signes aux hommes qui reconnaissent dans les phénomènes du monde astral la préfiguration des phénomènes terrestres. C’est ainsi que les rapports réciproques du soleil et de la lune servent de « signes célestes » aux rapports des nations du monde et d’Israël. Tandis que les premières suivent leur trajectoire sur terre avec éclat et splendeur, tel le soleil qui parcourt le ciel majestueusement, Israël erre dans le sombre royaume de la nuit, comme la nuit qui se déplace sans arrêt au travers des planètes et qui ne peut briller de son éclat argenté que lorsque le soleil a disparu à l’horizon.

Mais aussi, la lune est considérée comme le « signe » d’Israël en ce sens que son renouvellement mensuel, après une disparition presque totale, constitue pour Israël le gage céleste de son propre renouveau perpétuel, nonobstant les phases répétées de son effacement presque total du milieu des nations. La prière mensuelle de la « bénédiction sur la lune » contient l’expression la plus nette de cette signification plus que symbolique, attachée aux phases successives de la lune. - Voir aussi notre Comm. III, 8.

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים—יִשְׁרְצוּ הַמַּיִם, שֶׁרֶץ נֶפֶשׁ חַיָּה ; וְעוֹף יְעוֹפֵף עַל-הָאָרֶץ, עַל-פְּנֵי רְקִיעַ הַשָּׁמָיִם. וַיִּבְרָא אֱלֹהִים, אֶת-הַתַּנִּינִם הַגְּדֹלִים ; וְאֵת כָּל-נֶפֶשׁ הַחַיָּה הָרֹמֶשֶׂת אֲשֶׁר שָׁרְצוּ הַמַּיִם לְמִינֵהֶם, וְאֵת כָּל-עוֹף כָּנָף לְמִינֵהוּ, וַיַּרְא אֱלֹהִים, כִּי-טוֹב. וַיְבָרֶךְ אֹתָם אֱלֹהִים, לֵאמֹר : פְּרוּ וּרְבוּ, וּמִלְאוּ אֶת-הַמַּיִם בַּיַּמִּים, וְהָעוֹף, יִרֶב בָּאָרֶץ. וַיְהִי-עֶרֶב וַיְהִי-בֹקֶר, יוֹם חֲמִישִׁי. פ

20. Hachem dit : « Que les eaux fourmillent d’une multitude rampante d’êtres vivants : et que des oiseaux volent au-dessus de la terre, à travers l’espace des cieux. » 21. Hachem créa les cétacés énormes, et tous les êtres animés qui se meuvent dans les eaux, où ils pullulèrent selon leur espèce, puis tout ce qui vole au moyen d’ailes, selon son espèce, et Hachem considéra que c’était bien. 22. Hachem les bénit en disant : « Fructifiez et multipliez-vous sur la terre ! » 23. Il fut soir, il fut matin, - cinquième jour.

20. « QUE LES EAUX FOURMILLENT D’UNE MULTITUDE ANIMÉE, VIVANTE. »
L’œuvre de la création se déroule en deux sens opposés. Les sphères d’émanation franchissent les étapes successives allant du monde transcendant de l’esprit pur jusqu’aux sphères immanentes de la vie terrestre dans ses multiples manifestations. C’est l’unité initiale qui se déploie dans la richesse de ses formes. À mesure que cette évolution progresse, elle se précise et elle va de l’abstrait au concret. C’est ainsi que la lumière du premier jour est rattachée aux astres le quatrième jour ; les espaces des eaux et de l’atmosphère reçoivent au cinquième jour leurs créatures animées et enfin, la nature parée de ses plantes apparues au troisième jour, trouve ses habitants vivants au sixième jour. Plus les sphères s’éloignent de la source immatérielle, plus elles apparaissent sous leur forme incarnée, « finie » et relative aux dimensions terrestres. Mais une autre évolution se produit simultanément en sens inverse : c’est celle qui s’élève de la matière pour atteindre les cimes de l’esprit. La création suit en effet le chemin de la manifestation de plus en plus importante des forces spirituelles. Elle fait précéder le monde minéral inanimé au monde végétal où se manifestent les premiers signes élémentaires de l’âme vivante. La prochaine étape est la création du monde des animaux, doté, d’après les termes de notre verset, de נֶפֶשׁ חַיָּה, d’une âme vivante. Enfin, la création de l’homme couronne cette montée de l’esprit. L’homme possède en lui, en plus de l’âme dite « végétative » et de l’âme « sensitive » l’âme spirituelle, qui fait de lui la créature en laquelle s’équilibrent les forces physiques et les forces spirituelles, et qui, de ce fait, occupe une position centrale entre les sphères célestes et les sphères terrestres.

Ainsi, tandis que Hachem s’approche de l’homme par les degrés d’émanation successifs, allant des sphères transcendantes de l’esprit jusqu’à la matière inanimée, les forces spirituelles, bannies sur terre, tendent déjà à s’élever à nouveau jusqu’à Hachem, en refaisant le même chemin, en sens inverse, et elles créent des formes toujours plus perfectionnées pour aboutir à l’homme qui, lui, aspire constamment à rejoindre son créateur par l’ascension de son âme et de son esprit. Le rayon réfléchi, renvoyé par l’homme, se rencontre ainsi avec le rayon incident, projeté par Hachem. Le psaume CXLVIII décrit fort bien comment toutes les créatures de l’univers forment un chœur unique chantant la gloire du créateur - dans un double sens. Les harmonies sacrées descendent d’abord des cieux et des régions supérieures, et elles s’élèvent ensuite de la terre pour monter jusqu’aux ahuteurs du trône céleste (voir aussi Rachi dans Cantique des Cantiques VII, 2).

L’évolution même de la création trace la voie aux hommes. Il existe pour chaque être humain une voie qui le mène du plus profond de la vie terrestre, échelon par échelon, aux sommets de l’existence. Et c’est au fur et à mesure qu’il gravira les marches de l’échelle universelle qu’il rencontrera Hachem sur sa voie.

21. TANINIM
Rachi explique : ce sont de grands poissons qui sont dans la mer. Voici ce que dit la Hagada : c’est le Leviathan et sa compagne que Hachem a créés mâle et femelle. Puis il a tué la femelle qu’il a mise en réserve pour la nourriture des justes dans les temps à venir. Car s’ils s’étaient multipliés, le monde n’aurait pu tenir devant eux.

Si Rachi juge indiqué de nous communiquer cette Hagada extraite du Talmud (Baba Bathra 74 b), c’est qu’elle contient à ses yeux une leçon ou un enseignement important. On peut ainsi admettre qu’il considère comme souhaitable que l’homme ait pleinement conscience de l’étroitesse de son horizon spirituel. Ce qu’il lui est permis de voir et d’observer ne lui procure qu’une image extrêmement difforme de la grandeur et de la toute-puissante infinies du créateur. Il existe, en effet, dans chaque partie de la nature des créations situées au-delà de son champ de perception dont les dimensions ou la puissance sont telles qu’il ne peut s’en faire la moindre idée. La lumière du premier jour fut d’un éclat si éblouissant qu’il a fallu la remplacer par la lumière du soleil, qui est elle-même d’une si forte intensité que l’homme doit protéger ses yeux pour la regarder en face. La voûte céleste qui fut formée le second jour cache à nos yeux des espaces incommensurables dont aucune imagination ne peut se faire la plus vague conception. Même les continents et les océans, apparus au troisième jour, sont d’une étendue si immense qu’ils contiennent encore, après cinq mille ans de recherches humaines, de vastes régions inexplorées. C’est dans cet ordre d’idées que la Thora mentionne les Taninim, les monstres marins, qui font partie du monde des animaux aquatiques, et qui sont d’une puissance si prodigieuse que « le monde n’aurait pu tenir devant eux » si le créateur leur avait permis de se multiplier.

L’être humain ne se sent-il pas infiniment petit en présence de phénomènes naturels d’un ordre de grandeur et de puissance si fantastiques ? Ne ressemble-t-il pas à un ver de terre en face de ces créations gigantesques ? Comment peut-il alors prétendre vouloir connaître le Tout-Puissant et ne croire en lui qu’après avoir compris son essence éternelle et absolue ?

[Le poisson est la nourriture de prédilection pour le Chabbat. Sa chair a un effet favorable sur le développement de l’intelligence (Bahya v. 21). Aussi la chair du Léviathan est-elle le plat par excellence offert aux justes dans les temps à venir tandis que la consommation de la viande d’animal conserve toujours le caractère d’une concession, comme indiqué au Dev. XII, 20 [5].]

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, תּוֹצֵא הָאָרֶץ נֶפֶשׁ חַיָּה לְמִינָהּ, בְּהֵמָה וָרֶמֶשׂ וְחַיְתוֹ-אֶרֶץ, לְמִינָהּ ; וַיְהִי-כֵן. וַיַּעַשׂ אֱלֹהִים אֶת-חַיַּת הָאָרֶץ לְמִינָהּ, וְאֶת-הַבְּהֵמָה לְמִינָהּ, וְאֵת כָּל-רֶמֶשׂ הָאֲדָמָה, לְמִינֵהוּ ; וַיַּרְא אֱלֹהִים, כִּי-טוֹב.

24 Hachem dit : « Que la terre produise des êtres animés selon leur espèce : bétail, reptiles, bêtes sauvages de chaque sorte. » Et cela s’accomplit. 25 Hachem forma les animaux sauvages selon leur espèce, de même le bétail, de même ceux qui rampent sur le sol. Et Hachem considéra que c’était bien.

24. QUE LA TERRE PRODUISE DES ÊTRES ANIMÉS
Tout comme aux jours précédents, la nouvelle création commencée la veille s’achève au lendemain. C’est ainsi que le monde des créatures vivantes commence à se former le cinquième jour et continue le sixième jour jusqu’à son achèvement. Nous observons qu’il n’existe pas, en règle générale, de césure nette entre un jour et l’autre, mais toute la création se poursuit plutôt dans un enchaînement continuel qui a pour effet d’établir une connexion régulière entre les sept étapes de la création. Ses multiples éléments se trouvent être, ainsi, en liaison directe entre eux et la nature nous offre à cet égard les exemples des formes transitoires du domaine végétal au domaine animal et de celui-ci au domaine humain, telles que les algues, les animaux amphibies et les spécimens supérieurs du monde des quadrupèdes (cf. Juda Halévy, Kourazi V, 10). « Hachem a enchaîné merveilleusement entre eux tous les êtres de la création par une gradation insensible, depuis l’ange radieux jusqu’au plus petit atome de poussière) ».

Le philosophe Ba’hya souligne, par ailleurs, que le principe d’enchaînement de la création se retrouve en de nombreux phénomènes naturels, des plus généraux aux plus minimes, comme par exemple en celui de l’arc-en-ciel dont les sept couleurs ne sont pas nettement séparées l’une de l’autre par une série de compartiments, mais s’entrelacent dans une insensible succession de nuances variées. Ce principe nous démontre que la création et ses différentes parties ne peuvent être attribuées à l’action d’une pluralité de divinités régnant chacune séparément et rivalisant entre elles, mais bien à un créateur unique qui ordonne la richesse infinie des variétés de la création dans un ensemble cohérent.

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ ; וְיִרְדּוּ בִדְגַת הַיָּם וּבְעוֹף הַשָּׁמַיִם, וּבַבְּהֵמָה וּבְכָל-הָאָרֶץ, וּבְכָל-הָרֶמֶשׂ, הָרֹמֵשׂ עַל-הָאָרֶץ. וַיִּבְרָא אֱלֹהִים אֶת-הָאָדָם בְּצַלְמוֹ, בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ : זָכָר וּנְקֵבָה, בָּרָא אֹתָם.

26. Hachem dit : « Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les êtres qui s’y meuvent. » 27. Hachem créa l’homme à son image ; c’est à l’image de Hachem qu’il le créa. Mâle et femelle il les créa.

26. HACHEM DIT : « FAISONS L’HOMME À NOTRE IMAGE… »
Rachi explique : Bien que personne n’ait aidé Hachem dans l’œuvre de la Création et que les hérétiques puissent tirer parti de ce pluriel contre le monothéisme, la Thora n’a pas voulu manquer de donner une leçon et d’enseigner la vertu de modestie : le supérieur doit prendre avis et demander autorisation auprès de son inférieur. Si la thora avait écrit : Je ferai l’homme, cela ne nous aurais pas appris que Hachem a consulté son « conseil », mais qu’il a formé son projet seul. Mais la réponse aux hérétiques est donnée dans le verset qui suit immédiatement : Et Hachem créa l’homme. Le texte ne porte pas : Et ils créèrent.

Dans le texte original du Midrach Raba, qui est la source de la remarque de Rachi, il est dit d’une façon plus explicite que lorsque Moïse arriva à ce passage qu’il devait écrire sous la dictée divine, il demanda : Pourquoi donnes-tu prétexte aux hérétiques (de voir leur théorie polythéiste confirmée par les paroles : Faisons l’homme) ? Hachem répondit : Écris, et que celui qui veut faire erreur, fasse erreur. Puisque l’homme sera le maître de la création, il convient que je demande leur consentement aux sphères supérieures et aux sphères inférieures, avant de le créer. Les hommes apprendront de moi que le plus grand doit demander son consentement au plus petit, avant de lui imposer un chef.

Ainsi, la Thora préfère employer une formule pouvant prêter à confusion et favoriser l’erreur polythéiste, plutôt que de renoncer à proclamer une importante leçon morale. Cet exemple qui nous est donné ici, dès la première page de la Thora, est d’une grande portée. Nombreux sont, en effet, les passages de l’Écriture qui prêtent à équivoque ou à confusion ou qui contiennent des termes obscurs et des contradictions apparentes. Or, l’école de la critique de la Thora n’hésite pas, en pareil cas, à mettre en doute l’originalité et l’authenticité des livres saints ou à se livrer à des affirmations arbitraires sur les auteurs présumés de l’Écriture, ou encore à résoudre simplement les difficultés en rayant, altérant et défigurant les textes. C’est face à ces aberrations de l’esprit humain que la voix céleste lance l’apostrophe : Que celui qui veut faire erreur, fasse erreur. Les enseignements moraux, philosophiques, historiques ou autres que contiennent les textes incriminés et qui sont généralement mis en évidence par l’exégèse du Talmud, importent infiniment plus que les conclusions fallacieuses des hérétiques. Pour le législateur divin, les préoccupations morales et doctrinales prennent le pas sur les préoccupations philologiques [6] et parfois même historiques. Cette conception de l’universalité de la Thora placée en tête de Berechit prend la valeur d’un avis général relativement aux difficultés des textes compris dans l’Écriture.

À NOTRE IMAGE ET NOTRE RESSEMBLANCE
« La meilleure de toutes les explications qui furent tentées pour expliquer ce verset, écrit Na’hmanide, est celle qui rapporte צלם à l’aspect et à l’expression du visage et דמןח à la forme corporelle qui ressemble à celle des êtres terrestres, car l’homme ressemble par son corps à ceux-ci et par son âme aux êtres supérieurs ». C’est avant tout sur le visage de l’homme saint, juste, animé de sagesse, de bonté et d’amour que se reflète l’image de Hachem. Sa grandeur d’âme répand la grâce sur ses traits, son intelligence illumine son regard et la flamme intérieure confère à tout son être cet éclat rayonnant qui fait dire au Psalmiste en parlant de l’homme « il est presque l’égal des êtres divins : tu l’as couronné de gloire et de magnificence ! » (Ps. VIII, 6).

L’homme est créé à l’image d’Hachem en ce sens qu’il porte en lui une étincelle de l’esprit divin : grâce à cette étincelle l’homme est « unique en bas comme Hachem est unique en haut, il est seul en bas à connaître le bien et le mal » (Rachi, Berechit III, 22), car seul parmi la matière par son esprit. Grâce à cette étincelle, son âme est immortelle et la lumière de l’intelligence qu’elle allume en lui, lui permet de connaître Hachem, de l’aimer et de réaliser l’union avec lui.

C’est en « insufflant dans ses narines le souffle de vie » (Berechit II, 7), que le créateur communique à chaque être humain cette étincelle divine. Mais sa forme corporelle (דמןח) quoique « poussière détachée du sol » (ibid.), est façonnée, elle aussi, à la ressemblance de Hachem. Pour Maïmonide, qui est toujours soucieux d’écarter le moindre soupçon d’anthropomorphisme, les termes employés ici d’image et de ressemblance sont à prendre au sens figuré (Guide des Égarés (I, 1). Mais Juda Halévy adopte dans leur interprétation la conception dit du microcosme, selon laquelle l’homme, univers en miniature, reflète exactement dans sa constitution corporelle et psychique la structure du grand monde, le macrocosme (Khourazi IV, 25). Cette théorie remonte au très ancien ספר ׳צ׳רה attribué au Patriarche Abraham ou, selon d’autres historiens, au Tana R. Aquiba. Elle nous montre le parallélisme qui existe entre l’homme dans sa constitution physique et l’âme universelle dans sa structure fonctionnelle. La tête correspond à la sphère purement spirituelle du monde métaphysique ; la poitrine aux éléments de volonté et d’action des sphères d’émanation intermédiaires entre l’esprit et la matière ; enfin, les membres et les parties inférieures du corps sont l’incarnation des fonctions physiques du monde matériel (pour plus de détails, voir Khourazi ibid.).

Ainsi, l’homme représente en quelque sorte « l’ombre » projetée sur terre par la majesté divine (צלם dérivé de צם l’ombre, selon l’interprétation de R. Mosché Cordovero).

27. HACHEM CRÉA L’HOMME À SON IMAGE ; C’EST À L’IMAGE DE HACHEM QU’IL LE CRÉA.
L’insistance avec laquelle la Thora met l’accent sur le fait que l’homme fut créé « à l’image d’Hachem » nous permet de présumer des motifs qui furent à l’origine de la Création. L’homme apparaît comme étant à l’échelon suprême dans la hiérarchie des créatures et si l’Éternel voulut que cet être perfectionné soit formé « à son image », la raison n’en put être que le désir de faire partager sa béatitude éternelle à des créatures qui lui ressemblassent.
Ce fut, en effet, par amour, proclame le Zohar, que Hachem créa le ciel et la terre. Le Roi Tout-Puissant, qui se suffit à lui-même, renonça volontairement à une partie de son Être, pour prodiguer son amour à « ses semblables ». Il se replia sur lui-même, faisant don de son Être aux hommes, et cet acte d’abnégation produisit l’espace. Les rapports de Hachem avec la vie universelle furent ainsi inaugurés par l’amour et c’est, de même, l’amour qui veille au berceau de la vie humaine.

וַיְבָרֶךְ אֹתָם, אֱלֹהִים, וַיֹּאמֶר לָהֶם אֱלֹהִים פְּרוּ וּרְבוּ וּמִלְאוּ אֶת-הָאָרֶץ, וְכִבְשֻׁהָ ; וּרְדוּ בִּדְגַת הַיָּם, וּבְעוֹף הַשָּׁמַיִם, וּבְכָל-חַיָּה, הָרֹמֶשֶׂת עַל-הָאָרֶץ. כט וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, הִנֵּה נָתַתִּי לָכֶם אֶת-כָּל-עֵשֶׂב זֹרֵעַ זֶרַע אֲשֶׁר עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ, וְאֶת-כָּל-הָעֵץ אֲשֶׁר-בּוֹ פְרִי-עֵץ, זֹרֵעַ זָרַע : לָכֶם יִהְיֶה, לְאָכְלָה. ל וּלְכָל-חַיַּת הָאָרֶץ וּלְכָל-עוֹף הַשָּׁמַיִם וּלְכֹל רוֹמֵשׂ עַל-הָאָרֶץ, אֲשֶׁר-בּוֹ נֶפֶשׁ חַיָּה, אֶת-כָּל-יֶרֶק עֵשֶׂב, לְאָכְלָה ; וַיְהִי-כֵן. לא וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת-כָּל-אֲשֶׁר עָשָׂה, וְהִנֵּה-טוֹב מְאֹד ; וַיְהִי-עֶרֶב וַיְהִי-בֹקֶר, יוֹם הַשִּׁשִּׁי. פ

28 Hachem les bénit en leur disant « Fructifiez et multipliez-vous ! remplissez la terre et l’assujettissez ! Commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur la terre ! » 29 Hachem ajouta : « Voici, je vous donne tout herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence ; ce sera votre nourriture. 30 Et aux animaux sauvages, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui se meut sur la terre et possède une âme vivante, toute verdure végétale sera nourriture. » Et il en fut ainsi. 31 Hachem vit tout ce qu’il avait fait : c’était éminemment bien. Le soir se fit, puis le matin ; ce fut le sixième jour.

28. HACHEM LES BÉNIT EN LEUR DISANT : CROISSEZ ET MULTIPLIEZ.
Dès la création du premier couple, Hachem lui apporte sa bénédiction pour la fonction la plus fondamentale et la plus sacrée qu’il ait à accomplir sur terre : la procréation. Rabbi Abahou disait (allégoriquement) : Hachem prit la coupe de bénédiction et bénit avec elle l’union du premier couple (Berechit Raba c. 8).
Lorsque les époux s’unissent pour accomplir l’œuvre de procréation, ils coopèrent avec Hachem en une association intime. Car ceux-là mêmes qui ne veulent voir dans la fécondation autre chose qu’un phénomène purement naturel, comment expliqueront-ils la présence de l’âme immatérielle dans le fruit qui va naître, sans la référence à l’intervention du Créateur divin ? Sa majesté plane invisiblement au-dessus de l’union du couple procréateur, prête à la bénir, en dotant le corps qui se développera du souffle de la vie, émanant des sphères célestes.

REMPLISSEZ LA TERRE ET L’ASSUJETISSEZ.
L’ordre adressé au genre humain de s’assujettir la terre implique le droit de soumettre, de transformer les biens et les produits de la terre et de se les approprier librement. C’est un droit formel consacré par Hachem. Aussi la loi des hommes aura-t-elle le devoir de faire respecter le droit de propriété et de condamner toute atteinte portée au bien du prochain, en tant que violation du droit divin et de défi à l’adresse du créateur. Les normes de la propriété, fondées sur un droit inaliénable institué par Hachem lui-même, offrent des garanties absolues qu’aucun des autres motifs invoqués par les hommes, tels que l’occupation, l’accession, la prescription, le droit naturel ou l’utilité sociale, ne saurait jamais supplanter. Cette parole divine qui figure en première page de la Thora nous sert à la fois d’exemple du caractère d’universalité du droit contenu dans la Révélation. Émanant d’Hachem, ce droit possède une indépendance totale vis-à-vis des intérêts particuliers des nations ou des classes sociales.

31. C’ÉTAIT ÉMINEMMENT BIEN
Alors que l’œuvre des jours précédents est jugée bonne, celle du dernier jour de la création est qualifiée de טוֹב מְאֹד, de « très bonne ». L’excellence de l’œuvre n’apparaît en effet que lorsqu’elle est finie et achevée, tandis que ses parties, considérées isolément, peuvent sembler n’être que relativement bonnes, en raison même de leur caractère d’ouvrage partiel et imparfait. Mais il résulte également de ce fait que la connaissance juste suppose une vue d’ensemble de l’objet et de ses attributs. Les hommes ont souvent tendance à rechercher la spécialisation et à étudier les êtres et les objets par « pièces détachées ». Or, en se livrant au morcellement des connaissances, à la fragmentation de la science en tranches que chacun se partage, à l’excessive utilisation de l’esprit d’analyse, on fait perdre à l’homme la vision d’ensemble. « On n’a donc que des morceaux d’être à la main, desquels la vie est chassée ; le feu sacré, l’esprit vital est retiré » (Goethe). C’est dans la mesure où ils ont su dépasser les conceptions fragmentaires qui divisent l’univers en un monde organique et un monde anorganique et en une série d’autres disciplines que les penseurs et les savants, en considérant le monde comme un tout harmonieux, ont été capables de reconnaître l’âme vivante qui anime toutes les parties de l’univers.

C’est ici, d’autre part, tout à la fin de l’œuvre de la création, que nos Sages du Midrach font mention, pour la première fois, de la présence du mal dans cette œuvre. Certes, en considérant les œuvres de la création dans leur secteur limité, on peut penser qu’elles ne méritent pas l’épithète de « très bien » en raison des vices et des imperfections qu’elles comprennent. Mais, vue dans son ensemble, la création apparaît dans toute son excellence et les diverses formes du mal gagnent, dans la perspective du cadre général, leur véritable signification. Elles contribuent, en effet, de même que les facteurs des passions humaines et des forces élémentaires de la nature, et dans la mesure où elles obéissent à la discipline commune, au salut général. Leur présence est aussi nécessaire à l’harmonie de la création que l’alliage naturel l’est à la solidité d’un minéral. C’est dans ce sens que R. Meïr dira מאד ןה המוח טוב « très bien, comprend même la mort » tandis que d’autres Maîtres viendront ajouter le penchant du mal, l’enfer, etc. (Ber. Raba c. 9) (cf. Na’hmanide ; Guide des Égarés III, 10).

Moralement et physiquement, l’homme dispose d’une matière qui n’est pas la meilleure possible, mais la seule bonne. Cette matière, malgré ses vices évidents, correspond en réalité au plan divin, consciemment et librement exécuté. Et l’on peut prétendre que si Hachem n’était pas sûr que la création, telle qu’elle est sortie de ses mains, était seule capable de réaliser le but assigné, il l’aurait façonnée d’une manière différente. Donc, telle qu’elle se présente, elle doit être capable de parvenir au terme de sa perfection et doit contenir, dans sa constitution intrinsèque, tous les éléments qui y contribueront. À l’homme de les déterminer, de les dégager, de les mettre en activité et de parachever ainsi l’œuvre des six jours.


[2Qui est destiné expressément à tel usage précis ; parfaitement adapté.

[3Il se dit de Toute doctrine philosophique qui reconnaît l’existence d’un Dieu personnel.

[4de monisme : Système qui ramène toutes choses à l’unité d’un seul principe.

[5Quand l’Éternel, ton Roi, aura étendu ton territoire comme il te l’a promis, et que tu diras : "Je voudrais manger de la viande," désireux que tu seras d’en manger, tu pourras manger de la viande au gré de tes désirs.

[6Science qui embrasse l’ensemble des disciplines littéraires, telles que la grammaire, la poétique, la rhétorique, la critique, etc.


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