La voix ou les mains ?
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Revêtu de peaux de bêtes pour imiter l’apparence de son frère [1], Yaakov s’approche de son père Its’hak pour se faire bénir [2]. Ce dernier, du fait de sa cécité, demande à le toucher craignant un subterfuge. Mais quand il touchera les mains faussement velues de Yaakov, il restera sur un doute : « ... la voix, est la voix de Yaakov et les mains sont les mains d’Essav » lancera-t-il. Au-delà du sens littéral de ce textes, comment devons-nous comprendre cette dualité ? Différentes réponses s’offriront à nous, toutes aussi fondamentales les unes que les autres.
Par cette exclamation, Its’hak détermine deux comportements, deux systèmes de valeurs. Le pouvoir de la voix fut donné à Yaakov et à ses descendants : c’est la voix de la prière et de l’étude de la Torah. Face à lui, le pouvoir des mains, la violence et le matérialisme que détiendront Essav, et l’Occident à sa suite.
Et comme nous le précisera un verset du début de notre paracha « … un peuple sera plus fort que l’autre... » [3], mots que le Talmud interprétera comme l’impossibilité de voir les deux systèmes triompher dans le même temps : si l’un est fort l’autre est faible [4]. Pour nos Maîtres c’est Israël qui déterminera cet effet de balancier. La voix, en effet, est une émanation de l’intériorité de l’homme alors que les mains sont la manifestation la plus extérieure de sa volonté.
Tant que la voix d’Israël sera entendue, les mains d’Essav n’auront qu’un pouvoir limité et se plieront aux directives de la voix. Mais dès que l’écho de cette voix faiblira, la violence des mains d’Essav s’érigera en pouvoir.
C’est l’allusion que contient notre verset. Le mot kol (voix) y est écrit deux fois, mais la première fois il lui manque une lettre, la lettre vav. Ce manque donnera la possibilité de lire « hakel » (au lieu de hakol) mot qui évoque en hébreu l’idée d’affaiblissement. Ce qui donnera alors cette traduction : lorsque la voix de Yaakov (le peuple juif) s’affaiblit, les mains d’Essav deviennent puissantes [5]. Cette nuance est pour nous très précieuse car elle nous donne l’une des clefs de notre histoire : ce ne sont pas les oppresseurs d’Israël qui sont forts, mais Israël qui s’affaiblit.
En lisant notre verset un peu trop rapidement, certains ont voulu donner à la dualité de la voix et des mains un caractère figé. Ce n’est pas l’avis de certains de nos Maîtres qui attribuent à la voix d’Israël une force insoupçonnée.
Les mains de Yaakov
Le verset nous dit que la voix est la voix de Yaakov et que les mains sont les mains d’Essav. Dans un premier temps, on divise ainsi le verset en deux parties, comme nous l’avons expliqué jusque-là. Mais des commentateurs plus audacieux nous proposent de lire « les premières mains » du verset comme celles de Yaakov ! La voix est la voix de Yaacov et ses mains (celles de Yaakov) sont celles d’Essav. À comprendre ainsi : lorsqu’Israël ne s’exprime qu’au travers de la prière et de l’étude dans un attachement entier à Hachem, ces mains deviennent aussi puissantes que celles d’Essav.
La prière et l’étude ne sont pas seulement les signes distinctifs d’Israël. Ils sont aussi la source de vie (et d’énergie) de chaque Juif.
Nous avons trop souvent tendance à penser que celui qui consacre une grande partie de son temps à l’étude est un être faible et qui, voulant éviter les difficultés de la vie, cherche un refuge dans les livres. Il n’en est rien. Et c’est d’ailleurs ce que viendra nous enseigner un autre verset de notre paracha [6] nous décrivant la personnalité de Yaacov : il était un « homme intègre ». Pas seulement « intègre » mais aussi « homme ». Il cumulait en lui l’intégrité (grâce à l’étude) et la possibilité d’affronter les rigueurs du monde par son qualificatif « d’homme ».
Pour Actualité juive - Gérard Touaty
[1] Qui était velu.
[2] C’est normalement Essav qui doit se faire bénir, mais Rivka juge qu’il est indigne de la bénédiction paternelle et envoie Yaakov à sa place
[3] Béréchit (XXV, 23)
[4] Traité Meguilla p. 6a.
[5] Ces deux derniers mots ne sont pas écrits dans le verset mais ils sont sous-entendus.
[6] Berechit, XXV, 27)