Yaakov a maintenant plus de cent ans. Jusque là toute sa vie fut une lutte constante contre les forces du Mal incarnées par son frère et par son oncle. Il est sorti vainqueur de ces affrontements et cela aussi bien spirituellement que physiquement. Il désire à présent se reposer sur la terre de Canaan. Mais Hachem n’accepte pas cette retraite « anticipée ». « Les Justes ne se contentent pas de ce qui leur est réservé dans le monde futur, ils voudraient encore la paix dans ce monde ! » s’exclame le Créateur. Et Rachi d’ajouter : Yaakov désirait demeurer en paix, mais des problèmes lui viendront avec son fils Yosseph.
Mises à part les nombreuses questions sur ce récit, nous porterons notre attention sur un problème plus général. Puisque nous savons que le nom d’une paracha « imprègne » et symbolise tout son contenu, comment pouvons-nous concilier le nom de « Vayechev », qui a pour connotation les idées de tranquillité et de repos, avec l’événement majeur de cette paracha : la vente de Yossepeh, qui tourmentera Yaakov pendant vingt-deux ans ?

Une épreuve pour aider

Pour comprendre cette contradiction (apparente) il nous faut tout de suite expliquer le sens réel des paroles de Hachem. Ces paroles ne sont pas à prendre comme un reproche concernant l’attitude de Yaakov. Comment, en effet un tsaddik (un Juste) pourrait-il avoir une volonté contraire à Celle du Créateur ? Nous sommes donc obligés d’admettre que les paroles de Hachem n’ont ici qu’un caractère exclamatif sans connotation répréhensible.
Le désir de Yaakov de vouloir « s’installer » dans le monde est légitime et pour l’y aider Hachem lui enverra les tourments de la vente de Yosseph ! S’installer en paix dans le monde ne signifie pas pour un tsaddik profiter de la matérialité du monde. Il faut comprendre ce désir comme la volonté de se défaire des contraintes matérielles (tout en restant dans le monde) pour s’élever spirituellement. Qu’est-ce qui permettra cette élévation ? Les tourments occasionnés par la vente de Yosseph. Et nous avons pour preuve la fin du livre de Berechit qui verra Yaakov vivre les meilleures années de sa vie « installé » (durant ses dix-sept dernières années) en Égypte. À la fin de sa vie, Hachem lui accordera ce qu’il avait demandé. Or il ne put atteindre ce degré spirituel que par l’épreuve morale de la vente de Yossepeh. Et c’est ce que nous allons expliquer.

Se dépasser

Le Talmud demande pourquoi le peuple juif est comparé à l’olive ? Et nos Maîtres de répondre : de même que l’huile est obtenue par pression du fruit, de même Israël ne devient plus grand que par les difficultés et les souffrances de la vie. Face aux épreuves de son existence, un homme (s’il veut vivre) est contrainte de se dépasser. Les efforts qu’il fournira alors l’élèveront puisqu’il révélera en lui des forces jusqu’alors insoupçonnées.
C’est ce qui se produisit pour Yaakov : la tourmente morale et spirituelle causée par la vente de Yosseph le contraignit à chercher en lui les conditions psychologiques pour surmonter sa douleur et son épreuve. On peut dès lors résoudre l’apparence contradiction que nous soulevions plus haut. Il n’existe en fait aucune opposition entre le nom « Vayechev » (il s’installa) et les « perturbations » créées par la vente de Yosseph : c’est ce dernier événement qui permettra l’installation véritable de Yaakov (en Égypte plus tard) dans le monde. Cette dualité peut aussi être comprise différemment : puisque Yaakov désira demeurer dans le monde Hachem chercha alors à exaucer ce désir en lui envoyant l’épreuve de la vente de Yosseph.
On l’aura compris, l’errance (et les souffrances) du peuple juif n’ont pour nous rien d’accidentel comme tout événement d’ailleurs, de notre histoire. Les deux mille ans que nous avons vécu depuis la destruction du second Temple nous ont donné les textes les plus fondamentaux de nos Traditions. Malgré (et avec) les difficultés de l’histoire, Israël s’est enrichi.

Gérard Touaty - Pour actualité juive hebdo