Le veau d’or intérieur

Par Gérard Touaty
samedi 6 mars 2021
par  Paul Jeanzé

Le lendemain du don de la Thora, Moïse quitte le peuple juif pour aller chercher les Tables de la Loi sur le mont Sinaï. "J’en descendrai au bout de quarante jours", annonce-t-il au peuple. Mais l’attente est trop longue et avant l’expiration du délai, un veau d’or est fabriqué. Pour comprendre la gravité de cet événement, il faut en retenir un détail qui sera le point central de notre réflexion : c’est quand le Maître est absent que l’idole est fabriquée. En d’autres termes et pour actualiser notre étude, le veau d’or c’est le Juif sans Maître !

La valeur du maître

Le Maître est le passage obligé de toute vie juive authentique. Sans lui, le Juif risque à chaque instant de s’égarer et de s’engager sur un chemin qui pourrait le conduire aux antipodes de la Vérité et cela même si extérieurement la voie qu’il s’est choisie paraît être conforme au judaïsme. Un Juif peut, en effet, pratiquer le chabbath, manger cacher et dire les trois prières quotidiennes, et pour autant méconnaître la véritable dimension du judaïsme s’il ne cherche pas la compagnie ou les conseils d’un Maître. On peut donner deux raisons à cette nécessité. Le Maître ("Rav" en hébreu) est celui qui connaît la Thora. Il est donc plus à même que quiconque pour nous guider dans la pratique du judaïsme. Mais il a aussi une valeur d’exemple. Sa façon de manger, de prier ou de réagir devant n’importe quelle situation de la vie sera à nos yeux la concrétisation de l’idéal humain prôné par la Thora. Mieux encore, c’est lui qui permettra à chacun d’entre nous de nous élever un peu plus vers Hachem, une sorte de tremplin vers la sainteté. Et c’est précisément ici qu’il qu’il représente le rempart parfait contre le risque d’idolâtrie. "Veau d’or" en hébreu donne "eguel hazahav". À ce sujet, la Tradition rapproche le mot "egeul" (veau) du mot "igoul" qui signifie "cercle". L’idolâtrie, c’est tourner en rond. C’est refuser de sortir de son conformisme spirituel ou intellectuel, et n’accepter aucune vision du monde autre que la sienne. C’est s’enfermer dans un système de valeurs qui ne tolère aucune évolution ou amélioration. "Fais-nous un dieu qui marche devant nous...", demanda le peuple à Aaron. La précision "devant nous" est importante. Elle signifie ici "à notre portée". Nous voulons une divinité "humanisée", une divinité que nous puissions appréhender avec des repères humains. C’est là l’affirmation implicite d’un refus d’un judaïsme divin et donc transcendant l’humain au profit d’un système où les valeurs intellectuelles humaines deviennent les critères de vérité.

La vache rousse

On comprend dès lors quelle était la fonction de Moïse. Il était le point relationnel entre Hachem et les hommes. Le Maître capable d’ajouter la composante divine au rationalisme humain, par définition limité. D’un point de vue plus profond, l’idolâtrie consiste à se construire un judaïsme rationalisé et logiquement acceptable dont on aura exclu le caractère supra-humain. C’est ce qui nous permettra de comprendre une remarque de Rachi d’après laquelle la mitzva de la vache rousse, l’exemple type d’une loi irrationnelle, avait pour but d’expier la faute du veau d ’or. "Quel rapport pouvons-nous trouver entre la faute du veau d’or et la mitzva de la vache rousse ?", demande Rav Haïm Soloveitchik. Le veau d’or, explique-t-il, était la volonté de se créer un judaïsme dépouillé de toute soumission à Hachem. Pour réparer cette dérive de l’esprit, la mitzva de la vache rousse venait rappeler à l’homme qu’il n’avait accès à la liberté que s’il devenait l’associé de Hachem en se soumettant à sa loi.

Gérard Touaty (Actualité juive hebdo)


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