Qui tuer ?
par
Un jour, en pleine nuit… mon médecin me téléphone :
— Je ne vous réveille pas ?
Comme je dormais, je lui dis :
— Non.
Il me dit :
— Je viens de recevoir du laboratoire le résultat de nos deux analyses. J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. En ce qui me concerne, tout est normal. Par contre, pour vous… c’est alarmant.
Je lui dis :
— Quoi ?… Qu’est-ce que j’ai ?
Il me dit :
— Vous avez un chromosome en plus…
Je lui dis :
— C’est-à-dire ?
Il me dit :
— Que vous avez une case en moins !
Je lui dis :
— Ce qui signifie ?
Il me dit :
— Que vous êtes un tueur-né ! Vous avez le virus du tueur…
Je lui dis :
— … Le virus du tueur ?
Il me dit :
— Je vous rassure tout de suite. Ce n’est pas dangereux pour vous, mais pour ceux qui vous entourent… ils doivent se sentir visés.
Je lui dis :
— Pourtant, je n’ai jamais tué personne !
Il me dit :
— Ne vous inquiétez pas… cela va venir ! Vous avez une arme ?
Je lui dis :
— Oui ! Un fusil à air comprimé.
Il me dit :
— Alors, pas plus de deux airs comprimés par jour !
Et il raccroche !
Toute la nuit… j’ai cru entendre le chromosome en plus qui tournait en rond dans ma case en moins.
Le lendemain, je me réveille avec une envie de tuer… irrésistible !
Il fallait que je tue quelqu’un. Tout de suite ! Mais qui ?
Qui tuer ?… Qui tuer ?
Attention ! Je ne me posais pas la question : « Qui tu es ? » dans le sens : « Qui es-tu, toi qui cherches qui tuer ? » ou : « Dis-moi qui tu es et je te dirai qui tuer. »
Non !… Qui j’étais, je le savais !
J’étais un tueur… et un tueur sans cible !
(Enfin… sans cible, pas dans le sens du mot sensible !)
Je n’avais personne à ma portée.
Ma femme était sortie…
Je dis :
— Tant pis, je vais tuer le premier venu !
Je prends mon fusil sur l’épaule… et je sors. Et sur qui je tombe ?
Le hasard, tout de même !
Sur… le premier venu !
Il avait aussi un fusil sur l’épaule…
(Il avait un chromosome en plus, comme moi !)
Il me dit :
— Salut, toi, le premier venu !…
Je lui dis :
— Ah non ! Le premier venu, pour moi, c’est vous !
Il me dit :
— Non ! Je t’ai vu venir avant toi et de plus loin que toi !
Il me dit :
— Tu permets que je te tutoie ? Je te tutoie et toi, tu me dis tu !
Je me dis : « Si je dis tu à ce tueur, il va me tuer ! »
Je lui dis :
— Si on s’épaulait mutuellement ? D’autant que nous sommes tous les deux en état de légitime défense !
Il me dit :
— D’accord !
On se met en joue… Il me crie :
— Stop !… Nous allions commettre tous deux une regrettable bavure… On ne peut considérer deux hommes qui ont le courage de s’entre-tuer comme des premiers venus ! Il faut en chercher un autre !
J’en suis tombé d’accord !
Là-dessus, j’entends claquer deux coups de feu et je vois courir un type avec un fusil sur l’épaule…
Je lui crie :
— Alors, vous aussi, vous cherchez à tuer le premier venu ?
Il me dit :
— Non, le troisième ! J’en ai déjà raté deux !
Et tout à coup, je sens le canon d’une arme s’enfoncer dans mon dos.
Je me retourne. C’était mon médecin… Qui me dit :
— Je viens vous empêcher de commettre un meurtre à ma place…
Je lui dis :
— Comment, à votre place ?
Il me dit :
— Oui ! Le laboratoire a fait une erreur. Il a interverti nos deux analyses. Le chromosome en plus, le virus du tueur, c’est moi qui l’ai !
Je lui dis :
— Docteur, vous n’allez pas supprimer froidement un de vos patients ?
Il me dit :
— Si ! La patience a des limites. J’en ai assez de vous dire : « Ne vous laissez pas abattre ! »
Je lui dis :
— Vous avez déjà tué quelqu’un, vous ?
Il me dit :
— Sans ordonnance… jamais ! Mais je vais vous en faire une !