Quatrième chapitre : histoires de fin

mardi 1er avril 2014
par  Paul Jeanzé
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Un geste de la main

La voiture venait de tourner à l’angle de la rue. Jusqu’au dernier moment, et alors même que le véhicule avait déjà certainement disparu depuis de longues secondes derrière un horizon de pierres et de bosquets, je gardais le bras en l’air, ma main s’agitant encore au milieu de ces quelques soubresauts sans doute liés aux douleurs qui couraient en continu le long de mes articulations. Quel grand-père, quelle grand-mère n’avait jamais agi ainsi ? Quel aïeul n’avait plus pour rester accroché à la vie sur terre que cette heureuse colonie de vacances qui venait s’installer dans l’antichambre de la vieillesse, le temps d’une fin de semaine ? Et si cet au revoir ressemblait presque à un adieu en cette fin d’après-midi d’un automne déjà bien sûr de lui, c’était bien parce que la fine petite main qui s’en allait d’habitude finir sa course dans le creux de la mienne venait de disparaître. Elle venait à peine de s’effacer, que déjà j’avais peur d’oublier cette sensation qui m’apaisait le corps et l’esprit à son contact. Et même si la vivacité de ce précieux souvenir m’étreignait de douleur, je m’empressais pourtant de me remémorer chaque parcelle de cette peau qui était restée malgré toutes ces années d’une inaltérable douceur.

Je nous revoyais, il y a si peu de temps encore, au même endroit, nous retournant ensemble et lentement, main dans la main, devant notre bâtisse et son modeste jardin. Certes, au gré du temps, il était devenu de plus en plus grand et difficile à maîtriser, mais nous ne cessions pourtant de le contempler et d’admirer le résultat de ce long et patient travail qu’une vie à deux avait parfois à offrir lorsqu’on la laissait s’épanouir. Nous nous regardions en souriant, refermions le petit portillon pour remonter ensuite le long d’une allée de fleurs sauvages que nous n’avions jamais plantées et puis, une fois le pas de la porte atteint, nous nous ménagions une petite halte et reprenions un peu de ce souffle qui allait nous déposer dans la douceur de notre foyer. Il ne nous restait plus alors qu’à contourner prudemment la table basse et son bouquet de fleurs dont les odeurs s’appropriaient paisiblement l’espace d’un grand et chaleureux séjour aux poutres apparentes. Notre canapé nous attendait avec un sourire vétuste en coin, content de nous recevoir blottis l’un contre l’autre. Et là, nous prenions le temps de nous remémorer des petits bouts de notre histoire en les faisant revivre à travers nos regards malicieusement complices pour les ajouter les uns aux autres, afin qu’ils formassent le portrait d’une aventure simple et heureuse.

Aujourd’hui, je n’avais pas réussi à refaire le chemin de nos habitudes. Je n’avais d’ailleurs même pas essayé. Je m’étais retrouvé à l’étage, à cet étage où pourtant mes jambes ne me permettaient plus guère de me porter. Mais c’était là que j’avais choisi de me rendre, près de cette petite lucarne devant laquelle j’avais souvent dialogué avec ma solitude, cette fidèle compagne qui, toute ma vie durant, jamais ne m’avait abandonné.


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