Refuser ou accepter le monde ?

Par Gérard Touaty
jeudi 23 décembre 2021
par  Paul Jeanzé
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Le monde est un rêve explique Rav Shlomo Yosseph Zévine [1], mais un rêve qui nécessite une interprétation. Monde en hébreu se dit "olam" terme que nos Maîtres rapprochent de la racine verbale qui signifie "cacher".

Pour reprendre la terminologie de Platon le monde est divisé en deux domaines : le monde sensible et le monde intelligible. Le monde sensible est celui de la perception immédiate, sensitive alors que le monde intelligible est celui de la connaissance et de l’identité réelle des choses. Pour expliquer cette distinction, le philosophe avait recours à une allégorie. Il imaginait des captifs enchaînés dans une caverne, le visage tourné vers le fond de la caverne. Dehors brûle un feu dont les reflets éclairent la caverne. Derrière ce feu, des hommes portant des objets défilent projetant leurs ombres sur le fond de la caverne. Ces ombres, deviendront pour les captifs, la réalité [2].

Illusions

Le monde pour un Juif procède aussi de cette distinction. Nous croyons bien souvent nous intéresser à l’essentiel alors qu’en fait, nos préoccupations ne sont tournées que vers des valeurs accessoires et secondaires. Bien plus encore, nous pensons avoir compris les mécanismes sociaux ou psychologiques de notre environnement alors que la vérité se situera à un niveau de perception supérieur. Tout simplement parce que le monde sensible et ses valeurs comme l’argent, la gloire ou la position sociale "cache" la vraie réalité, ce que Platon appelle le monde intelligible. Cette réalité authentique c’est la Thora. Et nous devons grâce à elle interpréter et disséquer les mouvements du monde pour sortir du rêve dans lequel il nous fait vivre. « Ne considère pas le vase », disent les Pirké Avoth « mais ce qu’il contient. »

À gauche et à droite

D’un point de vue plus pratique comment le juif doit-il se mesurer avec le monde ? L’Histoire nous a toujours offert deux conceptions de la vie régulièrement opposées. L’une voit le monde comme le lieu du Mal, un lieu dont il faut s’écarter pour ne pas subir son influence. L’autre conception au contraire accepte le monde tel qu’il est avec comme seul souci celui d’en tirer profit et cela même s’il faut sacrifier sa conscience ou son honnêteté intellectuelle. La Thora, quant à elle, refuse ses deux options pour se placer toutefois entre elles. Pour nos Maîtres le monde est un rêve qu’il faut interpréter et dont il faut faire émerger le divin. Interpréter signifie réparer et chercher à écarter de nos yeux le voile qui masque l’action de Hachem dans le monde. En d’autres termes le Juif doit, par l’étude et la pratique des mitzvoth parvenir à voir Hachem à la source de tous les événements de sa vie, qu’ils soient grands ou petits. Pour cela deux mitzvoth l’aideront, deux mitzvoth qui symbolisent les deux conceptions citées plus haut : la mézouza et Hanoucca.

La mézouza protège l’individu chez lui, dans sa maison. À l’intérieur de ce domaine, le Juif est protégé des agressions du monde. Il est facile dès lors de se fabriquer un judaïsme tranquille loin du bouillonnement de la société humaine. C’est la première conception. La Thora ne la rejette pas mais elle la juge incomplète : il faut s’investir dans le monde et ne pas le refuser mais cet engagement doit être inspiré par des motivations morales et spirituelles très élevées. C’est la mitzva de Hanoucca dont les lumières doivent éclairer l’extérieur de la maison. Le monde doit être illuminé du reflet de la lumière que le Juif créera par l’étude et la pratique. La lampe de Hannouca à gauche et la mézouza à droite, selon les mots du Talmud.

Gérard Touaty (pour Actualité Juive hebdo)


[1L’un des auteurs de l’encyclopédie talmudique (1890 - 1978)

[2Tiré de son livre "La République


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