Fils d’Abraham ou l’appel au peuple (Le)

mardi 29 décembre 2020
par  Paul Jeanzé

Raymond Devos - Le fils d’Abraham ou l’appel au peuple (Décembre 1979)

Vous savez que c’est terrible d’avoir ad vitam aeternam quelqu’un derrière soi qui vous pousse à faire quelque chose alors que l’on sait pertinemment qu’in extremis, il vous empêchera de le faire. C’est le supplice de Tantale.

Une nuit, je rentrais chez moi...
Il y avait un brouillard à couper au couteau...
Tout à coup, j’entends :
 Fils d’Abraham !
Comme j’étais tout seul, je dis :
 Oui... Qui êtes-vous ?
J’entends une voix lointaine :
 Je suis Jéhova !
Comme il n’y avait pas de témoins, je lui dis :
 Je vous écoute !
La voix me dit :
 Tu es bien le fils d’Abraham ?
 !!
Je lui dis :
 Entre autres !... Je ne suis pas le seul ! Nous sommes tout un peuple à être le fils d’Abraham !
 Justement ! C’est un appel au peuple que je viens te lancer !
 Pourquoi moi ?
 Parce qu’on n’a trouvé personne d’autre ! Voilà. Je voudrais te mettre à l’épreuve, comme jadis je mis à l’épreuve ton père !
Je lui dis :
 Le père Devos ?
Il me dit :
 Non ! Le père Abraham !
Je dis :
Ah ! c’est cette histoire ancienne !
Il me dit :
 T’en souvient-il ? J’avais promis à Abraham une descendance innombrable, des fils, des petits-fils, des arrière-petits-fils, tout un peuple, en somme, à condition qu’il me sacrifiât son fils.
 Oui, je sais, et il ne l’a pas fait !
 Non ! Parce qu’au dernier moment, ma main a retenu son bras !
 Oh ! je dis, vous avez eu là un beau geste !... Sans ça, je ne serais pas là !
 Eh bien, je te propose la même épreuve : sacrifie-moi ton fils !
 Écoutez ! Je vous arrête tout de suite : je n’ai pas d’enfant.
 Ah ! ce n’est pas ce qu’on m’avait dit... Enfin ! Alors, sacrifie-moi ta femme !
 Là, d’accord... Mais il faut que je lui en parle !
 Dis-lui bien que c’est pour la bonne cause !
 La bonne cause ! Êtes-vous sûr que ce soit la bonne ? Déjà que je l’ai épousée pour le bon motif. Or, ce n’était pas le bon.
 De toute façon, au dernier moment, ma main retiendra ton bras.
  !...
Je lui dis :
 Vous pouvez me signer un papier ?
Il me dit :
 Ce qui est écrit est écrit !
Alors, j’en ai parlé à ma femme. Elle l’a très mal pris !
 Oui ! Tu me mets le couteau sous la gorge ! Déjà que je me suis sacrifié pour toi. S’il faut encore que je me coupe en quatre pour ta famille !...
Je lui dis :
 Te rends-tu compte d’une sacré promotion ? Moi, un fils de famille, devenir le père du peuple !
Elle a compris !
C’est elle-même qui a armé mon bras.
Elle m’a dit :
 Vas-y ! Tu es sûr que Dieu est derrière toi ?
Je lui ai dit :
 Il est là ! Je sens son souffle !
Elle m’a dit :
 Pourquoi hésites-tu ?
Je lui ai dit :
 Parce que je ne suis pas sûr que sa main soit assez forte pour retenir mon bras ! Il ne faut pas tenter le Diable !


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Message estival

Vendredi 04 juillet 2025

Même si je vous donne peu de mes nouvelles, j’avance toujours tranquillement sur mon petit roman, intitulé Une journée ordinaire. Je dis « petit » dans le sens où il est peu bavard en terme de mots : 25 000 mots environ. Il est « terminé » dans le sens où toute la matière est là. Je suis dans la phase où je relis et reprend chaque chapitre plusieurs fois jusqu’à en être (à peu près) satisfait. Peut-être cette phase se terminera-t-elle vers la fin de l’été, peut-être... car je reprends parfois tout du début, quand j’estime « perdre un peu le fil » De plus, le dernier chapitre est à revoir, la fin notamment... Je passe souvent énormément de temps à trouver une fin « pas trop banale ». Bref, beaucoup de cuisine interne !

Bien à vous et en vous souhaitant un bel été (au frais en ce qui me concerne, et dans la mesure du possible),
Paul Jeanzé