Au temps de l’alliance, l’alliance dans le temps

vendredi 29 juin 2012
par  Paul Jeanzé

Nous devons attirer l’attention de nos innombrables lecteurs du fait que l’auteur de ce petit texte a cru bon d’utiliser quelques expressions un peu au Rabelais.

Dans un jugement qui devrait faire jurisprudence, le tribunal de grande instance de Cologne a estimé que « le corps d’un enfant était modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision », indique un communiqué. « Cette modification est contraire à l’intérêt de l’enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse », précise ce jugement qui n’interdit pas cet acte à des fins médicales.
Source : Le monde.fr - Mardi 26 juin 2012

Devant une telle perche tendue, que faire sinon la saisir, et à pleines mains qui plus est !
Que de saines empoignades en perspective ! Nul doute que les partisans du pour (comme du contre) vont nous donner un spectacle à couper le souffle ! (à défaut d’autre chose). Nous entendons d’ici les partisans du pour interpeller l’autre bord ainsi : « vous êtes tous des glands ! » Et l’autre bord de répondre tout aussi élégamment : « vos arguments sont pauvres comme zob ! »

Vous en conviendrez, il sera très difficile de réconcilier les (deux) parties, la situation ne pouvant que partir en couille ou en sucette, ce qui au regard des présents ébats, pardon débats, revient à peu près aux mêmes choses.

Nul ne sait ce que l’histoire retiendra. Qui se souvient d’ailleurs de cette célèbre phrase d’un obscur conseiller de Louis XVI prononcée en son temps : « Il serait préférable que la vôtre ne soit pas tranchée Sire ! » Phrase concise s’il en est.

Qui se souvient encore du roi Antiochos qui gouvernait le royaume séleucide entre – 175 et – 163 et qui, afin de provoquer une hellénisation forcée de la Judée, interdira (entre autres choses) la circoncision. D’ailleurs, qui se souvient du royaume séleucide…

En revanche, il est un peuple presque aussi vieux que le Monde qui se souvient qu’il lui a été révélé :

Dieu dit à Abraham : « Pour toi, sois fidèle à mon alliance, toi et ta postérité après toi dans tous les âges. Voici le pacte que vous observerez, qui est entre moi et vous, jusqu’à ta dernière postérité : circoncire tout mâle d’entre vous. Vous retrancherez la chair de votre excroissance, et ce sera un symbole d’alliance entre moi et vous. A l’âge de huit jours, que tout mâle, dans vos générations, soit circoncis par vous ; même l’enfant né dans ta maison, ou acheté à prix d’argent parmi les fils de l’étranger, qui ne sont pas de ta race. Oui, il sera circoncis, l’enfant de ta maison ou celui que tu auras acheté ; et mon alliance, à perpétuité, sera gravée dans votre chair. Et le mâle incirconcis, qui n’aura pas retranché la chair de son excroissance, sera supprimé lui-même du sein de son peuple pour avoir enfreint mon alliance.
Génèse – XVII – 9

Et qui continue à se souvenir et donc à exister, à être au milieu des autres peuples après toi dans tous les âges.

Un peuple qui a appris à maîtriser le temps en s’appuyant sur son passé pour vivre son présent et construire son avenir. Comme l’écrit de si belle manière Abraham Heschel, les juifs sont les bâtisseurs du temps, et malgré toutes les tragédies, ils sont aussi vivants qu’hier qu’ils le sont aujourd’hui et qu’ils le seront demain.

Dans le monde d’aujourd’hui, faire circoncire son fils, quand on est un parent juif, est contrairement aux apparences, tout sauf la solution de facilité.

En tant que père ou en tant que mère, il faut effectivement accepter que l’intégrité physique de son enfant soit légèrement modifiée. Et c’est presque un défi en regard de nos sociétés dites « modernes » et qui portent aux nues le culte d’un corps (d’une idole ?) bien trop souvent à l’excès.

En tant que juif, c’est la volonté de transmettre à sa propre descendance cette flamme juive et l’espoir, le souhait qu’elle perdure pour au moins une génération à venir. Quelle formidable aventure et grande responsabilité que de pouvoir tenter d’apporter sa petite pierre à l’édifice de tout un peuple.

Au-delà de l’intense émotion que les individus que nous sommes pourront ressentir en assistant à la cérémonie de la Brit Milah, cet acte est ainsi hautement symbolique et un pilier fondamental du judaïsme, un acte fédérateur de toute une civilisation.

Une personne instruite peut-elle vraiment ignorer cela ?
Et quand bien même, pour revenir à François Rabelais, ne disait-il pas : « Ignorance est mère de tous les maux ? »
Aujourd’hui, tout ce que nous devons espérer, c’est que les juges allemands sauront s’arrêter avant de se retrouver « un beau jour » seuls dans Berlin :

Pâles, ils se regardaient. C’étaient de vieux amis ; leurs relations remontaient à l’époque de leurs études. Mais la peur avait surgi, et la peur avait fait naître la défiance. Ils se regardaient sans un mot.

« C’est un acteur, pensait l’avocat. peut-être m’a-t-il joué la comédie et veut-il me perdre. Peut-être est-il chargé de mettre ma loyauté à l’épreuve… Récemment, pour avoir malencontreusement accepté de défendre un accusé devant le Tribunal du peuple, j’ai eu grand-peine à me tirer d’affaire. Depuis lors, on se méfie de moi… »

« Jusqu’à quel point Erwin est-il vraiment un bon avocat ? se demandait en même temps l’acteur. Dans mon différend avec le ministre, il ne veut pas m’aider. Et maintenant il est prêt à déposer sous la foi du serment qu’il n’a jamais vu la carte. Il ne prend pas mes intérêts à cœur et agit même contre moi. Qui sait si cette carte… Partout on parle de pièges qui sont tendus aux gens… mais c’est absurde ! Il a toujours été mon ami. Un homme sûr ! »

Et tous deux réfléchissaient ; tous deux se regardaient ; tous deux commencèrent à sourire.

– Nous avons été bien sots de nous méfier l’un de l’autre !

– Nous qui nous connaissons depuis plus de vingt ans !

– Depuis les bancs de l’école.

Oui, nous avons fait bien du chemin !

– Comment en sommes-nous venus là ?… Le fils trahit sa mère, la soeur son frère, l’ami son amie.

– Mais ce n’est pas vrai pour nous. [1]

Comme quoi, comme le disait malicieusement très récemment Jean-Louis Ézine sur un thème étrangement proche (l’abattage rituel) : le barbare, c’est le civilisé d’en face.

Zevoulon - Le 29 juin 2012


[1Hans Fallada – Seul dans Berlin


[ télécharger l'article au format PDF]

Annonces

Des Poézies qui repartent dans le bon sens

Dimanche 16 juin 2024

Nous voici arrivés au mois de juin et je m’apprête à prendre mes quartiers d’été dans un lieu calme où j’espère ne pas retrouver une forme olympique. Sans doute ne serai-je pas le seul à me retrouver à contresens ; si vous deviez vous sentir dans un état d’esprit similaire, je vous invite à lire les poézies de ce début d’année 2024.

Bien à vous,
Paul Jeanzé