Première solitude

mardi 1er avril 2014
par  Paul Jeanzé
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Il me restait encore quelques bribes d’un lointain passé et de ces morceaux d’inexistence pendant lesquels on n’ose même plus regarder droit dans ses yeux. De ces instants où la joie et la tristesse ne sont même plus là pour rythmer le temps, sans le moindre violon sur le toit, sans lever ni coucher de soleil. De la grisaille, rien qu’une malheureuse grisaille d’une saison à l’autre. Aujourd’hui en automne, hier en été.

C’était au début du mois de juillet, il y a un peu plus de quarante ans. Déjà, j’étais allé me réfugier derrière la petite lucarne. Avant d’en arriver là, j’avais fermé le portail puis longé la terrasse au bord de laquelle une armée de fleurs sauvages s’apprêtait à donner l’assaut. Et enfin, je n’avais pas eu d’autre choix que de pénétrer dans cette maison qui s’était subitement vidée de ses enfants et de la plus grande partie de son mobilier. Dans cette maison âmoindrie, ne subsistait plus que le spectre de l’absente, dont l’ombre ne manquait pas de resurgir au détour du moindre petit objet auquel je ne portais pourtant plus aucune attention depuis des années ; et ce silence, qui s’imposait maintenant face aux éclats de rire du passé. En entrant dans les pièces nues, rien que le son du silence, un silence qui résonnait à travers la lumière, un silence qui ricochait sur chaque cloison avant d’aller s’écraser en un grand fracas sourd et muet sur le vieux parquet. Et, quand j’eus laissé échapper ce petit raclement de gorge qui devait certainement cacher une trop grande émotion, une sorte de déflagration dégoulinante était allée se réfugier derrière un recoin pour y mourir, étouffée par la poussière. Par-delà les vitres, deux tourterelles. La plus petite avait sa tête posée sur l’aile de la plus grande. Parfois, les oiseaux en savaient beaucoup plus que les êtres humains. Au loin, très loin au-delà d’un ciel qui venait de virer au vert, surpris par les arbres qui frémissaient à sa rencontre, je n’avais même pas essayé de me raccrocher aux branches de mes sentiments. Je les avais simplement regardés s’envoler comme on regarde s’envoler une migration hivernale.


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